L’auteur à succès Laurent Mauvignier publie Continuer aux éditions de minuit. L’ouvrage faisait partie de la sélection du prix du roman étudiant France Culture-Télérama pour cette année 2016. Il a terminé en troisième position dans les votes, derrière l’astucieux L’autre qu’on adorait de Catherine Cusset (notre article) et après l’impressionnant lauréat, Gaël Faye, pour son déchirant Petit Pays (notre article). Zone critique revient pour vous sur cette attendrissante, et bien méritée, médaille de bronze.
Laurent Mauvignier publie pour la première fois en 1999 son roman Loin d’Eux. Depuis, nombre de ses livres ont obtenu d’illustres prix littéraires. Il est même, depuis 2010, chevalier de l’ordre des arts et des lettres, qui récompense ainsi sa riche production. Ecrire à partir de faits réels n’est pas une habitude étrangère à Laurent Mauvignier et Continuer ne déroge pas à la règle. L’intrigue du roman est originale : Sibylle voit son fils Samuel prendre le chemin de la délinquance. Parallèlement, elle considère sa propre vie comme une succession d’échecs. Afin de les réparer tous deux, elle imagine un projet fou : emmener son fils plusieurs mois au Kirghizistan. Cette idée singulière est née dans l’esprit de l’auteur grâce à un article du Monde, publié le 30 août 2014 par Pascale Krémer. Dans ce dernier, intitulé « Au Kirghizistan, la chevauchée initiatique d’un père et son fils », un certain Renaud emmène son fils Tom au pays des chevaux pendant trois mois, dans le but de renouer avec celui-ci, qui commençait à mal tourner.
Un voyage intérieur
Son écriture sobre, dépouillée, et pourtant magnétique et incantatoire, fait exister de saisissants tableaux.
Laurent Mauvignier nous fait ainsi voyager dans les paysages extraordinaires du Kirghizistan. Son écriture sobre, dépouillée, et pourtant magnétique et incantatoire, fait exister de saisissants tableaux. De même, on décèle une certaine connaissance des us et coutumes, du mode de vie et de l’identité de ce pays où un homme « qui n’a pas de cheval n’a pas de pieds ». Malgré cela, le véritable voyage est celui de l’intériorité des personnages qui ont eu besoin de ce cadre (ou de ce hors-cadre, selon le point de vue) pour se réfléchir, pour se penser et surtout pour se raconter.
Sibylle fait le constat de la perte prochaine de son fils lorsqu’elle apprend qu’il s’est enfoncé un peu plus loin dans la délinquance. Samuel, en plein décrochage scolaire, a fini au commissariat de police après une soirée alcoolisée qui s’est mal terminée. Sybille n’est pas en meilleure forme. Divorcée, elle s’enfonce dans la dépression, elle boit, elle fume. Elle a l’impression d’avoir raté sa vie ou de ne l’avoir jamais réellement commencée. Les relations entre la mère et le fils sont tendues. Malgré les réticences de son ex-mari absent, Sibylle décide de renouer avec Samuel dans un voyage au Kirghizistan. Nonobstant les liens difficiles avec sa mère, Samuel comprend très vite qu’il n’a pas d’autre choix que d’accepter. Sybille lui tend une main, lui offre la possibilité d’une seconde chance, de faire autrement. Pourquoi le Kirghizistan ? Grâce à ses origines, Sybille parle russe. Les deux personnages partent alors découvrir le pays à cheval. Ils ne semblent pas voyager à deux mais plutôt l’un à côté de l’autre. Finalement, peu de paroles sont échangées entre les deux êtres. Ils laissent découvrir leur intériorité au lecteur, et à l’autre, à travers les latences des non-dits, les réflexions intérieures ou encore leurs émanations écrites ou musicales. Le livre pose la question de la relation mère-fils et de sa possible condamnation. Les deux personnages chevauchent de déceptions en déceptions, d’incessants reculs en retours en arrière.
Ecrire le désenchantement
Laurent Mauvignier écrit, contre toute attente, le désenchantement, l’avortement des rêves ambitieux.
Le point fort du roman réside dans sa lutte contre la tentation persistante de la facilité. Laurent Mauvignier écrit, contre toute attente, le désenchantement, l’avortement des rêves ambitieux. Sybille en avait beaucoup : écrire un livre, devenir chirurgienne… Et Samuel ne semble jamais en avoir eu. Ils incarnent deux générations : celle de ceux qui ont perdu leurs rêves et celle de ceux qui ne les ont jamais trouvés. Ce qui emporte la curiosité du lecteur c’est que ce roman représente un désenchantement pour lui aussi. Une certaine impression de fatalité le gagne peu à peu. Continuer n’est pas un roman d’apprentissage classique où les deux personnages, en se côtoyant, réapprendraient de façon linéaire, doucement, progressivement, à s’aimer. L’ouvrage est composé d’obstacles, d’erreurs de parcours et de reculs incessants. La relation mère-fils est désenchantée, elle fait un pas en avant pour plus vite en faire trois en arrière. Samuel ne devient pas un héros qui sortirait grandi des épreuves. C’est seulement à la fin, par sa précipitation aux péripéties, que son destin changera.
Ecrire la mort et la haine
Dans une ambiance de fin du monde, Sibylle tente de sauver la vie de Samuel en négligeant la sienne tandis que ce dernier ne cherche à sauver personne, sauf sa propre peau, quand il le faut.
Le livre comporte trois chapitres qui forment un triptyque : « Décider », « Peindre un cheval mort » et « Continuer ». Le titre concerne seulement la toute fin du roman, lancé comme une note d’espoir. Avant le dernier chapitre, surprenant et magistral, le livre est rempli de pulsions de mort, de haine. Dans une ambiance de fin du monde, Sibylle tente de sauver la vie de Samuel en négligeant la sienne tandis que ce dernier ne cherche à sauver personne, sauf sa propre peau, quand il le faut. Le voyage lui-même est dans la continuité d’un précédent voyage de Sibylle où la mort l’avait effleurée. Au Kirghizistan, les deux personnages tentent d’apprivoiser leur haine réciproque. Le danger, la violence et la mort tournent au-dessus de leurs têtes tels des vautours, auxquels s’ajoutent le mépris, l’incompréhension ou encore la pitié. Ce mélange explosif organise la relation dysfonctionnelle et handicapante de Sibylle et Samuel. Les explications tardives et le dénouement, surprenants et politiques, donnent tout son sens à l’ouvrage. Le lecteur comprend mieux les origines de cette haine qui réside dans les non-dits. Tout abandonner, partir loin pour repartir de zéro semblait être le projet de départ. Tout au long de l’œuvre, dans une écriture presque fataliste, l’auteur nous laisse penser que ce dessein est impossible et ne fait qu’anticiper une fin prévisible. Cette fin est toute autre. Nous vous laissons la découvrir.
- Continuer, Laurent Mauvignier, Les éditions de minuit, 239 p., 2016, 17 euros.