L’autrice et nouvelliste irlandaise Claire Keegan, connue pour Ce genre de petites choses (prix Orwell, 2022), revient avec un sujet sensible pour sa dernière nouvelle, Misogynie. Elle raconte l’histoire d’un homme, nommé Cathal, que nous suivons l’espace d’une journée d’une apparente banalité. Celle-ci se résume, en effet, à bus, boulot, dodo. Ce récit se veut l’espace d’une réflexion sur la misogynie d’un homme au cœur d’une société dans laquelle il se trouve et au sein du couple.
Dans Misogynie, le héros semble hagard, un peu perdu, en proie à ses démons et ses contradictions. Il se remémore la perte de sa fiancée, Sabine. Le couple formé avec elle constituait un microcosme dans lequel se déploie le récit et une critique de la société dans laquelle évoluent les personnages. Sabine, de son côté, s’acquittait parfaitement du rôle qui est le sien : « Cette femme savait cuisiner ; même à présent il devait lui reconnaître ce mérite. » Cathal quant à lui se départit difficilement de ses tâches : « Mais une partie de lui s’offusquait toujours du nombre de récipients et de couverts sales, d’avoir à les rincer tous avant de les mettre dans le lave-vaisselle (…) et qui était parfois encore là dans l’évier quand il rentrait du travail le lundi. » La misogynie du personnage se retrouve également dans d’autres espaces que dans son couple.
Cathal se comporte ainsi de manière abrupte avec les différentes femmes qu’il rencontre : tout d’abord avec sa collègue qu’il côtoie tous les jours
Cathal se comporte ainsi de manière abrupte avec les différentes femmes qu’il rencontre : tout d’abord avec sa collègue qu’il côtoie tous les jours ; il coupe court très vite et de manière presque condescendante aux échanges. Lorsqu’il rencontre une femme avant de prendre le bus, il répond laconiquement à son constat sur la météo : « C’est bon à savoir. »
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Identification au personnage de Lady Diana
Le plus marquant dans cette nouvelle reste probablement les différentes mises en abyme. L’une se trouve dans ce même passage où Cathal rencontre une jeune femme avant de prendre le bus. Celle-ci lisait un livre dont le titre porte un nom troublant : La Femme qui se cognait dans les portes.
La seconde réside dans l’identification de Cathal au personnage de Lady Diana, lorsqu’il visionne un documentaire sur la princesse britannique. Tout comme elle, il vit dans une ville britannique, le récit se déroulant à Dublin. Il semble se retrouver à travers la princesse dans la sublimation de son quotidien, ce qui lui rappelle son ancien couple avec Sabine, dont le rêve s’était transformé en désastre. Ainsi : « il avait décidé de regarder une série sur Netflix, (…) mais un documentaire avait commencé, sur la BBC, au sujet de Lady Diana, un genre de commémoration, ou un anniversaire. »
Un style à la Virginia Woolf
Par ailleurs, l’effet voulu par l’autrice rappelle le stream of consciousness de Virginia Woolf qui produit un sentiment de malaise. Le point de vue interne fait que le lecteur se trouve constamment témoin de la vie du personnage. Certains extraits du récit font penser que la journée de Cathal est un rêve. Par ailleurs, on peut voir que la présence du discours indirect libre rappelle le système de Virginia Woolf : « Si une part de lui se demandait comment il aurait pu tourner si son père avait été un autre genre d’homme et n’avait pas ri, Cathal n’a pas laissé son esprit s’attarder sur la question. Il s’est dit que ça ne signifiait pas grand-chose, que c’était seulement une mauvaise plaisanterie. »
De plus Keegan se plaît à instaurer un jeu d’ombre et de lumière, travaillant tout d’abord sur l’ambiguïté du protagoniste et sur sa tare qu’il semble traîner : sa misogynie. L’écriture de l’autrice se veut suggestive davantage qu’explicative, la narratrice se plaisant à laisser l’imagination du lecteur opérer. Elle produit l’effet d’un récit enchâssé, le lecteur se retrouvant pris au piège face à sa propre conscience.
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