Charlène Fontana

Charlène Fontana : terrain d’écriture

Pour la rentrée littéraire de janvier, les Éditions le Sabot publient le premier recueil de poésie de Charlène Fontana, Tu m’refais ça j’te sors – un premier tir poétique qui ne manque pas de marquer un but. Dans ce premier recueil, la jeune poétesse explore des thèmes de son quotidien – entraînements de foot, histoires de « love » et liens familiaux – en usant d’une langue qui semble se méfier du réel.

Trouver sa voix

Le recueil se présente comme un entraînement, un échauffement : il s’agit de définir sa voix mais pour se présenter sur le terrain poétique cette fois. Le jeu avec l’environnement sportif, qu’on devine se concentrer autour du foot, crée un parallèle intéressant, notamment dans la section « Y’a entraînement » :

« en mon terrain
hantent les coachs
quand le matin
tombe si mal l’eau que l’on croirait la pluie »

Tu m’refais ça j’te sors est un terrain d’expérimentation de la voix poétique, qui par ailleurs n’est pas sans nous faire penser à celle d’un « aède » qui chante : l’usage de la répétition crée des sortes de refrains dans les premiers textes du recueil, et la voix poétique le dit elle-même, elle « récite ».

« Tu pleures comme un aède en manque
la frustration c’est quelque chose »

La figure d’Homère n’est d’ailleurs pas loin : Charlène Fontana nous présente une « odyssée contemporaine » à travers sa « cité », d’où elle a « manqué le retour d’Ulysse » qui « a fini les cannelloni » qu’Hélène lui avait préparés. À travers ces figures, la poétesse tente de faire du sens à partir d’un contemporain qui peut parfois sembler décousu, impossible à raconter :

« C’était là devant
pourtant j’ai pas prié »

https://zone-critique.com/creations/chemla

Faire sauter le vernis du réel

« Le vernis de la laque noire
s’effrite si on s’y approche
c’est pour ça qu’on l’admire de loin »

Le réel est comme regardé de loin, avec méfiance. Il n’est pas simplement accessible.

Plus qu’une simple description, c’est la démarche poétique de Charlène Fontana qui semble être ici exposée. Si le réel est présenté, les histoires du quotidien dévoilées, c’est toujours d’une manière dérobée : il manque parfois des mots, des liens logiques. Le réel est comme regardé de loin, avec méfiance. Il n’est pas simplement accessible. L’œil n’est peut-être pas entièrement fiable, et la langue se fait le relais de cette incertitude, de ce regard un peu myope : 

« Myope j’ai cru
réciproque éhontée
de lentes attentions
mimant
le possible
reflet de baisers couverts
par les innombrables j’aime laissés sur sa page »

Il s’agit de faire sauter le vernis du réel, de donner à lire son absurdité contemporaine où des « j’aime » virtuels sont l’équivalent, le « reflet » de « baisers », de montrer qu’il ne se donne pas à voir aussi simplement et qu’il faut sortir à nouveau de la caverne :

« L’annonce
préquel fantasmé
de la caverne je ressors
la foi remplacée par la flemme
je suis sensible pourtant »

C’est ce regard précautionneux du réel qui laisse place à une expression poétique singulière, qui s’adresse à un « Tu » qui lui aussi semble distant, inaccessible : « un désert ruisselle entre nous », « je sirote le sel que tu as étalé sur mes cicatrices », « en TN je cours sur toi ». Un premier recueil qui séduit précisément parce qu’il malmène, Tu m’refais ça j’te sors laisse entendre une voix poétique qui s’échauffe et s’affronte au réel sans compromis. 

  • Charlène Fontana, Éditions le Sabot, 2025.

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