Le dernier film de Virgil Vernier est une ode à ceux qui errent rêveurs dans les rues d’une cité illusoire. Afine est jeune, beau et innocent. Julia est petite, sérieuse et solitaire. Ils vont se rencontrer à Monaco, ville lumière à mille solitudes.
Des bâtiments et des sapins couverts de guirlandes de Noël évoquent des temps anciens, un décor de conte pour enfants. Quelques enseignes de luxe, des yachts et des voitures de sport : nous sommes à Monaco. Les repères spatio-temporels troublent le spectateur. Afine (Zakaria Bouti) est le fil conducteur de cet espace intermédiaire, passeur entre les mondes qui s’offrent à lui. Il a 17 ans et lui et ses ami·e·s se prostituent. Puis il retrouve Vesna (Mina Gajovic), une ancienne amie contrainte de faire du babysitting pour Julia (Victoire Song), 9 ans. L’étonnant trio va se former au rythme d’un quotidien mystérieux et sacré. Le film n’a rien d’une fiction fantastique ou d’une critique sociale misérabiliste, il dessine les contours d’une histoire atemporelle où la mélancolie accompagne des personnages qui renouent avec le monde.
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Joyaux et comptines
Ébloui par les néons, Afine parcourt des châteaux et palais qui ressemblent à un décor en pré-fabriqué. Pourtant, cet environnement urbain existe bel et bien. Il y a dans les films du cinéaste un glissement particulier entre le fantasme et le réel. Une sorte de nouveau réalisme poétique. On a l’impression que la caméra pourrait nous dévoiler l’envers du décor en faisant un travelling arrière. Il n’en est rien. Les personnages resteront figés dans ce cadre aussi désirable que repoussant. Ce jeune homme illustre ces contradictions, entre une satisfaction de vivre au jour le jour et un ennui sous-jacent qui lui donne envie de partir, mais pour aller où ? Afine n’appartient à aucun espace. Il passe à travers les plans, suit ses clients, accompagne ses proches qui le quittent tour à tour. La villa qu’il habite ressemble à une location Airbnb. Pourtant le film ne souligne pas sa condition sociale. La prostitution d’Afine est secondaire par rapport au sentiment de solitude qu’il éprouve. Le désir d’être énergéticienne pour Vesna nourrit ses croyances occultes et sa part de rêve. Le travail n’est jamais subi ni envisagé comme un moyen d’accéder à la norme, c’est tout le contraire. La marginalité n’a pas l’air de se substituer à la réalité qu’elle prétend illustrer. Ici tout est incarné. Vernier filme des corps et des personnalités pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils devraient représenter, des individus de passage, habités par quelque chose qui nous échappe. Ce qui les guide pourrait être cette foi inébranlable. Quelque chose de tendre qui les accompagne dans leur expérience du monde. Des pierres, des coquillages, ces petits objets sont des hiérophanies. Des chants religieux et des rituels ponctuent les actions des personnages. À l’image de cette séquence de réveillon de Noël où Vesna guide Afine vers la cheminée. Il tient un bouquet et doit frapper les braises avec vigueur. Ce sacrement s’accompagne de chants quasi incantatoires, quand ceux-ci ne résonnent pas en off. Le feu est l’élément qui lie les trois personnages. Afine devrait, selon une amie, conserver le feu qui brûle en lui – sa jeunesse – avant qu’il ne soit trop tard. Julia aurait mis le feu à son pensionnat. Afine, Vesna et Julia vont vivre ensemble durant les derniers jours de l’année. Chacun est habité par une chaleur, une force qui accompagne une jeunesse qu’on ne veut pas voir disparaître.
Vernier filme des corps et des personnalités pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils devraient représenter,des individus de passage, habités par quelque chose qui nous échappe.
Compte à rebours
Le temps est compté. Un calendrier de l’avent ponctue le film jusqu’à l’arrivée de la nouvelle année et les chiffres défilent : 31 décembre, 21 h 21 sur une horloge pyramidale, 23 h 59 sur un portable, les 400 jours d’abstinence de Vesna, le prix des passes reçu par SMS. L’atemporalité est paradoxalement submergée d’une étrange numérologie. L’obsession des personnages est celle du temps qui passe. Les parents de Julia sont absents, occupés à construire une île artificielle. Selon la petite fille, une catastrophe imminente va bouleverser l’humanité. Leur seule chance de survie est de s’enfuir là-bas. Des cloches ponctuent parfois la bande-son, quand ce ne sont pas les morceaux de James Ferraro. Sont-elles liées à une célébration ? Annoncent-elles une sentence ? Quelque chose presse et résonne comme une litanie obsédante. En attendant, les personnages regardent le soleil se coucher, peut-être dans l’attente d’un rayon rohmérien. Les teintes orangées contrastent avec les lueurs bleues de la nuit et de plusieurs accessoires disséminés un peu partout comme cette chicha face à la mer dont la transparence a des airs d’instrument de chimiste. De vulgaires objets du quotidien sont regardés avec des yeux d’enfants, bardés de magie et de promesse. Ensemble, ils parcourent la ville. Leur traversée recèle de multiples territoires à explorer. Des sous-terrains d’un parking ils accèdent à la mer, le raccord surprend mais sied à ce monde de conte pour enfants tristes. Il faut se raconter des histoires avant la fin des temps. Et le film s’achèvera sur cette île, seule échappée pour Afine, prisonnier comme un prince en son château. Cette île est une Eldorado en images de synthèse.
- Cent mille milliards, un film de Virgil Vernier, avec Zakaria Bouti, Victoire Song, Mina Gajovic, en salles le 4 décembre.
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