La 13ème Biennale d’Art Contemporain de Lyon réunit une soixantaine de points de vue artistiques sur le thème de la « vie moderne ». De la sucrière au MAC de Lyon en passant par le musée des Confluences et le parc de la Tête d’Or, le visiteur est invité à se confronter à sa propre vision de la modernité. Une modernité comme sujet d’inspiration pour les trois prochaines éditions de l’événement. Et pour cause, la simple allusion au terme « modernité » donne lieu à une multiplicité d’interprétations.
D’aucuns diront que la modernité c’est l’état actuel des choses. Et pourtant, ce n’est pas si simple. Comment la définir ? Où commencer et où finir cette modernité ?
En histoire, la modernité commence au XVème siècle. Cette période se caractérise par un nombre important d’innovations techniques qui ont changé la face du monde. La découverte de l’Amérique, l’invention de l’imprimerie, les prémices de la réforme protestante… Ce sont autant de révolutions qui ont radicalement remis en question les fondements même de la société : les limites géographiques du monde, la transmission du savoir, la religion…
Cela suppose une pensée du temps orientée, le concept de modernité met en évidence le fait que l’histoire va dans un sens particulier : celui du progrès. C’est ainsi dans la recherche de l’innovation constante et de la rupture que la modernité prend ses bases.
Seulement, en Art, l’époque moderne se caractérise entre autres par la redécouverte de l’héritage esthétique et intellectuel antique. Elle implique une forme de regard en arrière et de bilan des époques passées.
C’est dans cette atmosphère d’aller-retour, de bilan et de spéculation, que les artistes de la Biennale de Lyon se sont emparés de ce thème.
Anthropocentrisme
Sublimées, contestées, ridiculisées, les créations humaines sont au centre de la réflexion sur la vie moderne. Les différents aspects de l’ingéniosité de l’homme sont mis en lumière.
Au rez-de-chaussée de la Sucrière, le visiteur est accueilli par l’œuvre de Celeste Boursier-Mougenot : Averses. Le principe est simple, une batterie est arrosée de noyaux de cerises par intermittence, produisant une pluie de sons divers. L’œuvre hisse l’homme en créateur de ce bel objet, médium permettant l’accès à l’art de la musique, sublime car impalpable. Cependant, il s’agit aussi de rappeler que la nature même, symbolisée par les noyaux de cerises, se passe bien de l’intervention humaine pour produire de la musique.
Au MAC le visiteur peut également observer une installation qui projette un time lapse de Manhattan à 360°. In the air, de T.J. Wilcox, souligne la beauté de la création humaine, la ville s’étendant à perte de vue à l’image des plus beaux paysages naturels.
Tandis que les créations humaines sont ainsi comparées aux créations de la nature, Hicham Berrada parvient à contrôler la nature. Dans son œuvre Mesk-ellil, il installe des fleurs qui éclosent naturellement la nuit et parvient à créer une nuit artificielle pour permettre aux visiteurs de se promener dans un jardin nocturne aux lueurs bleutées. Et ainsi, lorsque la véritable nuit tombe, des lumières simulant le jour s’allument afin de permettre aux plantes de se reposer. L’homme devient créateur d’une nature artificielle.
A la Biennale de Lyon, l’homme n’est pas que créateur, il est aussi visiteur et il se doit d’expérimenter les diverses installations. C’en est fini du temps où l’on parcourait les musées passivement en s’arrêtant de toile en toile. Le visiteur se doit aujourd’hui de se mouiller un peu plus. Il traverse, détruit, contourne les diverses œuvres.
Au MAC, le visiteur est pris à partie par l’artiste chinois He Xiangyu dans son œuvre Turtle, Lion, Bear. L’espace qui lui est consacré est constellé d’écrans qui montrent des hommes et des animaux en train de bailler. Mais que serait donc cette œuvre sans les dizaines de visiteurs qui baillent dès leur arrivée dans la pièce ? L’artiste évoque ainsi l’évacuation de sentiments négatifs par le bâillement. C’est ainsi une excellente manière de rendre le visiteur acteur et d’insister sur l’aspect universel de certains réflexes comme le bâillement.
Des artistes contemplatifs
La Biennale est l’occasion de prendre le pouls du monde actuel. Les artistes proposent ainsi des images figées d’une société en perpétuel mouvement. L’art est alors le médium qui tente de proposer une objectivation du monde.
Les artistes proposent ainsi des images figées d’une société en perpétuel mouvement. L’art est alors le médium qui tente de proposer une objectivation du monde.
C’est ainsi que le visiteur observe d’un promontoire une reconstitution de la ville du Caire de nuit. Magdi Mostafa nous propose son état du monde vue d’en haut, à la manière du divin créateur.
Jon Rafman, quant à lui, propose aux visiteurs de prendre place dans une cabine de visionnage dans laquelle sont passés différents films. L’artiste fait état du monde à l’ère du numérique en sensibilisant le visiteur au problème de la surinformation et de la difficulté de concentration qui en résulte.
Cette contemplation de la vie moderne met en évidence une difficulté courante dans l’art contemporain : une trop forte subjectivité dans la création. L’art contemporain doit permettre au visiteur de se créer sa propre vision de l’œuvre et de construire son propre parcours. La vision de l’artiste, bien que personnelle, doit pouvoir donner des clés d’interprétation au regardeur. Cependant, certaines œuvres sont parfois trop symboliques et le visiteur ne peut que se fier au carton d’exposition pour comprendre le concept représenté. L’artiste contemple le monde, mais le visiteur ne peut parfois se l’approprier.
Le temps à l’œuvre
Acteur incontestable de cette Biennale, le temps est ici décliné à l’infini. Comme représentatif d’une vision cyclique de l’histoire, les Averses de Céleste Boursier-Mougenot se déroulent en deux temps. Des noyaux de cerises sont effectivement lâchés sur la batterie lorsque celle-ci est entourée de visiteur. Des capteurs permettent de détecter l’aura électromagnétique des téléphones portables, et déversent immédiatement les noyaux sur l’instrument. C’est une alternance entre des périodes de performance et des périodes d’attente parfois créatrices de frustration.
La frustration, c’est ce que Lai Chih-Sheng a voulu créer avec son œuvre Instant. C’est une vidéo qui passe en continu le signal de chargement d’un contenu multimédia. Les visiteurs s’arrêtent, étonnés, pensant qu’une vidéo charge, et c’est seulement après quelques minutes qu’ils s’éloignent, agacés. L’artiste dénonce ainsi les temps de néant et d’insatisfaction vécus au quotidien.
L’artiste Michel Blazy, quant à lui, donne au temps des capacités créatrices. Il signe Travail en cours, une œuvre composée d’objets résolument modernes qui opèrent un retour à l’état de nature. Les visiteurs peuvent ainsi observer un ordinateur, une imprimante, ou encore des chaussures à l’intérieur desquels l’artiste a fait pousser de la végétation. L’œuvre n’est en fait qu’en cours, puisque la nature continuera à la modifier jusqu’à la disparition complète des installations modernes.
Enfin, le temps semble parfois suspendu pour donner au visiteur le temps de contempler. Au MAC, Emmanuelle Lainé a crée un arrêt sur image. Son œuvre est une pièce dans un désordre travaillé, le mobilier, les plantes et des objets divers sont déstructurés et projetés dans l’espace. C’est la création d’un univers infini, dans une dimension parallèle. C’est comme arriver après la bataille, dans un moment suspendu, juste avant que les choses se remettent en place.