Thoreau

De Main Street à l’étang de Walden, balade à Concord avec Henry David Thoreau

Tout l’été, je vous emmène avec moi sur la côte est des États-Unis. De la Nouvelle-Angleterre à New-York, nous allons découvrir d’où viennent certains des auteurs et autrices les plus mythiques de ce pays. Premier arrêt, Walden. Située à 25 km au nord-ouest de Boston, Concord, Massachussetts, est une petite ville typique de la Nouvelle-Angleterre, avec sa rue principale, ses commerces de proximité, de belles maisons victoriennes, et, autour, la nature. C’est dans cet environnement, à un peu plus d’un kilomètre du centre, que Henry David Thoreau a installé sa cabane, au bord du mythique étang de Walden. 

Une large rue traverse le centre-ville de Concord cernée de chaque côté par des bâtiments en briques rouges et des façades colorées. Aucun doute, il s’agit de la Nouvelle-Angleterre reconnaissable à son architecture d’inspiration anglaise et hollandaise que l’on retrouve à Boston et dans tout le Nord-Est des États-Unis. La bien-nommée Main Street existe d’ailleurs, avec une configuration relativement identique, dans la plupart des petites villes alentour, dont le charme bucolique attire les citadins le week-end en toute saison. Celle de Concord est particulièrement populaire. On y trouve des restaurants et des cafés remplis du matin au soir – nous sommes aux États-Unis -, une quincaillerie, des brocantes, une galerie d’art. Il y a aussi une banque, bâtiment massif et entrée encadrée de moulures, dans laquelle on imagine débouler un gangster à la John Dillinger, arme au poing, sourire en coin. 

À la sortie du centre-ville, en allant vers West Concord – les Américains sont pragmatiques dans le choix du nom de leurs villes –, il ne faut pas rater la librairie Barrow installée dans une maison jaune pâle aux volets noirs. Elle propose un large choix de livres d’occasion, avec des thématiques variées, et une sélection d’ouvrages d’auteurs locaux, comme Ralph Waldo Emerson, Nathaniel Hawthorne, Louisa May Alcott ou Henry David Thoreau. Un mur complet est consacré à l’auteur de Walden, de quoi faire pâlir le banquier de n’importe quel amateur de transcendantalisme, espèce relativement rare, il faut le reconnaître. 

Le style victorien, charmant et catastrophique

Aucune journée ne se ressemble à Walden. 

Retour en arrière le long de Main Street pour atteindre Monumental Square, la place centrale, un long rectangle de verdure desservant les artères principales de cette petite ville tranquille. On y trouve l’église, grise et blanche, sans intérêt comme la plupart des édifices religieux ici et surtout, le Concord’s Colonial Inn, une institution locale servant d’hôtel installée à différents endroits de Concord et sous différentes formes depuis 1716. Caché derrière la végétation le bâtiment, d’un marron peu engageant, offre un patio ensoleillé et fleuri l’été et, à l’intérieur, un restaurant, 54 chambres (aux tarifs plus proches du XXIIème siècle que du XVIIIème) et surtout deux bars pour les longues soirées d’hiver. Cet établissement illustre à merveille le charme de l’architecture coloniale, mais aussi ses défauts : une isolation phonique et thermique catastrophique et une conception labyrinthique rendant les visites périlleuses tant il semble parfois impossible d’en sortir, surtout après un ou deux Old Fashioned

Pour qui a réussi cet exploit, il reste un lieu majeur à découvrir. Situé à un mile du centre (soit un peu plus d’un kilomètre), on peut rejoindre l’étang de Walden à pied, en suivant le chemin de fer, comme Henry David Thoreau, ou en une dizaine de minutes en voiture. Le décor, en toute saison, a ce pouvoir d’apaisement unique à la nature. Suffisamment éloigné des grands axes routiers, on y entend que les baigneurs courageux, barbotant dans une eau froide et transparente aux multiples teintes de bleu et de vert sur fond rocheux et sablonneux, de rares trains hurlants et les bruits de la forêt : le cri de crécelle de l’écureuil, le piaillement d’un oiseau ou les pleurs d’un enfant. L’étang est au milieu d’une forêt d’érables, de pins, de chênes et de bouleaux dont les couleurs changent en fonction des saisons et de la météo. Aucune journée ne se ressemble à Walden. 

Le transcendantalisme comme rempart au matérialisme

Walden, malgré des longueurs, livre une pensée avant-gardiste, à la fois écologiste et où la quête de bonheur prime sur la valeur travail.

Le visiteur comprend aisément l’attrait de Thoreau pour ce lieu où il s’est établi pendant deux ans, deux mois et deux jours, dans une petite cabane (aujourd’hui détruite, mais une reproduction existe sur le parking attenant à l’étang) en 1845. De cette expérience, il a tiré un livre écrit en près de huit ans, Walden, devenu culte, pas tant par son expérience de lecture – interminable – que par le message qu’il délivre. À la fois précurseur du Nature writing et chef de file du transcendantalisme (avec Ralph Waldo Emerson), il y raconte cette quête de sagesse à travers la solitude et la contemplation de l’environnement qui l’entoure. Ce courant, qui s’inspire du romantisme et de l’idéalisme, s’oppose au matérialisme grandissant et finalement triomphant aux États-Unis. 

Dans Walden, Thoreau défend un mode de vie monacal : « le luxe, en général, et beaucoup du soi-disant bien-être, non seulement ne sont pas indispensables, mais sont un obstacle positif à l’ascension de l’espèce humaine ». Il s’oppose à un mode de vie classique dans lequel le travail à une place centrale : « on nous porte à exagérer l’importance de ce que nous faisons de travail ; et cependant qu’il en est de non fait par nous ! ». Il faut noter toutefois que son autarcie n’était pas complète. Sa proximité avec Concord lui permettait de s’y rendre souvent et de recevoir de la visite. Pour autant, cette œuvre, malgré des longueurs dignes de la cime des plus grands pins d’Amérique, livre une pensée avant-gardiste, à la fois écologiste et où la quête de bonheur l’emporte sur la valeur travail. 

Concord, ville historique et littéraire

Walden est un manifeste, une tentative audacieuse, à cette époque, de trouver de l’épanouissement ailleurs que dans les nombreuses manufactures ou fermes de la région. Pas sûr qu’il ne reste grand-chose de ce message. De la même manière qu’il ne reste qu’une plaque commémorative et un tracé au sol de la cabane de Thoreau, l’espoir d’une société meilleure n’est plus à chercher à Concord. En revanche, cette ville reste un lieu de villégiature prisé des Bostoniens et autres visiteurs de passage, ainsi que des amateurs d’histoire. C’est à Concord que la guerre d’Indépendance a commencé lorsque l’armée britannique a décidé d’envoyer un bataillon pour détruire une cache d’armes des patriotes. Au cours de cette bataille, près de 300 soldats anglais ont été blessés avant de se retrancher à Boston et de subir un siège de la milice. 

Ville historique et littéraire, Concord fait partie de ces lieux hors du temps. Le sang a coulé, des mythes y sont nés ; aujourd’hui, il ne reste qu’un calme champêtre, une douce atmosphère de repos et un magasin de souvenirs nommé « Best of British ». Ça ne s’invente pas. 

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