Visions de Lowell : sur les traces de Jack Kerouac

Tout l’été, je vous emmène avec moi sur la côte est des États-Unis. De la Nouvelle-Angleterre à New-York, nous allons découvrir d’où viennent certains des auteurs et autrices les plus mythiques de ce pays. Deuxième arrêt : Lowell. 

Kerouac Lowell

Avant de prendre la route et de parcourir le pays dans toutes les directions possibles et imaginables, Jack Kerouac a grandi à Lowell, dans le Massachusetts. Ville industrielle, portée par les usines de textile, elle a radicalement changé depuis les années 1970. Aujourd’hui, on s’y balade à travers les canaux et on chine comme des bobos en lisant Les Clochards célestes

À environ une heure au nord-ouest de Boston, Lowell est la cinquième ville la plus peuplée de l’État du Massachusetts. Elle se trouve dans une zone encore urbaine, bien qu’elle fût imaginée comme une ville industrielle à la campagne. Plus américaine qu’européenne, Lowell est assez éclatée (au sens premier du terme), il est donc difficile de s’y déplacer sans voiture, à moins de prendre le bus ou d’aimer marcher dans des conditions météorologiques aléatoires, comme Jack Kerouac. 

Lowell, comme Boston, New Haven, Hartford et d’autres, fut d’abord un haut lieu de l’industrie. Il s’agit même de la première ville conçue par un industriel : Francis Cabot Lowell. D’abord marchand à Boston, il s’est rendu dans les fabriques de tissu en Angleterre pour « observer », l’air de rien, les méthodes et les outils de travail. Il en est revenu les mains vides, mais le cerveau en fusion (habile ! diront certains). De petit village, Lowell a bien grandi, grâce aux développements de ses usines, et à l’arrivée massive d’immigrants qui ont fait prospérer le pays – un détail qu’il n’est jamais inutile de rappeler.  

Kerouac Lowell

Des galeries d’art et des bols d’Açaï

Aux États-Unis, la manufacture d’objets a décliné dès les années 1920, notamment à cause de la concurrence des États du sud, le Missouri par exemple, où le coût du travail et les taxes étaient moins élevés (pour des raisons assez évidentes). Dans les années 1950, le secteur du textile n’était plus le principal employeur de Lowell. Il a donc fallu se diversifier. De nombreux endroits, notamment Hartford (que nous visiterons un peu plus tard), n’ont pas réussi à se remettre de la perte de leurs fleurons. Lowell, au contraire, a entamé une transformation réussie, dans les années 1970, misant sur son passé historique et sur la revitalisation de son centre-ville pour attirer commerces, évènements culturels, et de nouveaux habitants. 

Se promener à Lowell, du moins dans le quartier de Downtown, revient ainsi à passer son après-midi à Ground Control, près de la gare de Lyon, sans les trentenaires à lunettes de soleil, casquettes en liège et poussettes à 500 euros. On y trouve des canaux, autrefois utilisés par les navires de transport, aujourd’hui empruntés par les touristes. Il y a également les classiques : galeries d’art, cafés, pizzerias, et lieux alternatifs proposant une alimentation saine à base d’açai et autres plantes exotiques d’influenceurs. Une librairie, passage obligé, propose les classiques de la région avec Kerouac en tête de gondole. Il ne faut pas manquer non plus, en quittant les rues pavées de cette partie de la ville où la brique semble être l’unique matériau de construction, le musée consacré au tramway. Moyennant $15 dollars, vous pourrez partir pour un petit tour autour de la ville dans une vieille machine du siècle précédent. 

Kerouac Lowell

Souvenirs de jeunesse

En 1962, après avoir vu du pays, Kerouac dira même que Lowell est « la ville plus intéressante des États-Unis »

Cette balade indolente, balancé à droite à gauche, au rythme des rails maltraités par les années est une occasion unique de voir le Lowell de Kerouac, celui qu’il a décrit dans cinq de ses romans, dont Maggie Cassidy. Dans ce livre, il se remémore son amour de jeunesse, il rend aussi un hommage à la ville de son enfance. Ce passage rappelle qu’avant d’être une icône de la Beat Generation, Kerouac était aussi un merveilleux écrivain : 

« Dans la rue des milliers de choses, profondes, exquises, dangereuses, radieuses, respirent et palpitent comme des étoiles ; un sifflement, un faible cri ; les rumeurs de Lowell passent au-dessus des toits des maisons ; la barque sur la rivière ; le cri de l’oie sauvage qui fouille le sable scintillant ; le vallon qui ulule et gazouille, et la grève, délicieusement mystérieuse, sombre ; sombres aussi les lèvres sournoises, invisibles de la rivière qui susurrent des baisers, qui dévorent la nuit, qui volent du sable, en catimini. » 

Plus tard, en 1962, après avoir vu du pays, Kerouac dira même que Lowell est « la ville plus intéressante des États-Unis ». Croyez-le ou non, en tout cas, l’ancienne zone industrielle de Lowell est devenue un Parc National, en 1978, au même titre que Yellowstone ou le Yosemite. Prends ça la nature !

Kerouac Lowell

De ville industrielle à ville gentrifiée

Avant de partir de Lowell, il me fallait encore voir deux lieux immanquables figurant sur tous les sites Internet listant les mêmes points d’intérêt. D’abord, une fresque très colorée représentant Kerouac, sa machine à écrire et le rouleau de Sur la route. Elle se trouve juste à côté d’une église couverte de déchets et entourée de voitures dans un état lamentable. Une recherche sur Internet permet de comprendre qu’il s’agit en fait du lieu de tournage du film The Walking Dead. Rassurant. 

Enfin, le clou du spectacle reste Mill No. 5, une ancienne usine de cinq étages, avec sa cheminée et ses briques rouges – vous l’auriez deviné – transformée en lieu de vie. Pour s’y rendre, il faut passer un grand portail en fer forgé, prendre un ascenseur grinçant jusqu’au quatrième, et vous voilà dans un décor d’époque. Le bois recouvre la structure du sol au plafond. Il craque, se meut sous vos pas, et donnerait une insomnie à n’importe quel expert en protection incendie. Sur deux étages se trouvent d’autres cafés, un magasin de figurines, une autre librairie, d’autres galeries d’art, un cinéma, une boutique d’objets divers et variés (un violon à motif toile d’araignée, par exemple) ou encore une salle d’échec (endroit idéal pour se faire massacrer après avoir appris les règles élémentaires du jeu pendant le confinement). 

Le visiteur de passage quitte Lowell avec l’envie d’y revenir avec ses cartons sous le bras. C’est la beauté de la gentrification, mais elle a un coût : 2200 dollars de loyer pour un appartement de 75 m2 en centre-ville. Le déménagement attendra. Une nouvelle destination nous attend. 

Les autres articles de la série :

https://zone-critique.com/critiques/balade-henry-miller

https://zone-critique.com/critiques/hartford/

https://zone-critique.com/critiques/emily-dickinson

https://zone-critique.com/critiques/balade-thoreau


Publié

dans

,

par

Étiquettes :

Commentaires

Laisser un commentaire