À New York, l’éternel retour

Tout l’été, je vous emmène avec moi sur la côte est des États-Unis. De la Nouvelle-Angleterre à New-York, nous allons découvrir d’où viennent certains des auteurs et autrices les plus mythiques de ce pays. Dernier arrêt : New York. Apothéose d’un voyage dans l’est américain, l’arrivée à New York est une expérience sensorielle unique. Cette « jungle de béton où sont fabriqués les rêves » (Alicia Keys) a inspiré des quantités d’artistes, mais un homme la détestait comme peu d’autres : Henry Miller. 

Quelques minutes avant l’arrivée à Penn Station, depuis le train parti de Boston quatre heures plus tôt, la vue sur l’île de Manhattan est un spectacle à ne pas rater. Surtout pas à cause de la dernière notification apparue sur l’écran qui vous a servi de compagnon de voyage lors de ce trajet à travers quatre États (Massachussetts, Rhode Island, Connecticut et New York), longeant une côte tant bucolique, tantôt industrielle. 

Cette vue, hachée par les montants des vitres du train et les poteaux de la voie ferrée, a des airs de vieux film diffusé sur pellicule, la modernité et les couleurs vives en plus. Les teintes de gris, de marron, d’ocre ou de bleu – celui de l’océan, du ciel et des longs immeubles en verre – sont agrémentées des scintillements du soleil dans les bâtiments et l’East River. Il y a aussi ce décalage entre un train grinçant et fatigué, une succession de ponts du XIXe siècle et ces gratte-ciels, toujours plus hauts, modernes ou en construction. New York n’est pas une ville futuriste. Elle est ancrée dans plusieurs époques et plusieurs réalités. On y trouve le luxe absolu, démesuré, indécent, et puis une pauvreté totale, le dénuement et l’abandon (des individus et de certains quartiers).

La ville des écrivains 

À New York, le voyageur est en éveil permanent. Il y a d’abord cette odeur citadine, unique mélange de gaz d’échappements, de bouches d’évacuation du métro, de déchets putréfiés et d’excréments invisibles mais pas inodores. On s’y sent oppressé par les passants pressés. La cinquième, sixième et septième avenue ressemblent à des couloirs de métro où l’heure de pointe dure une journée entière. Il y a un flot ininterrompu, des vagues à éviter comme un quaterback (ou un demi de mêlée en version française). Et puis des klaxons, des sollicitations diverses, des bruits de chantier, des hélicoptères, des sirènes, les vrombissements d’un moteur. Enfin, des écrans à tous les coins de rues, des édifices tous différents les uns des autres, des œuvres d’art, parfois… Le paysage défile, fascine, mais impossible de s’arrêter, New York ne tolère pas l’immobilité.

Cette agitation a séduit les auteurs de la Beat Generation (Kerouac, Burroughs, Ginsberg), installés dans l’East Village, puis la génération Warhol. Un peu plus tôt, Céline, qui les inspirera, écrira ces lignes après son arrivée par bateau à New York : 

« À travers la brume, c’était tellement étonnant ce qu’on découvrait soudain que nous refusâmes d’abord à y croire et puis tout de même quand nous fûmes en plein devant les choses, tout galérien qu’on était on s’est mis à bien rigoler, en voyant ça, droit devant nous… » 

Ils sont innombrables à avoir écrit sur New York : Edith Wharton, Fitzgerald, Dos Passos, Jay McInerney, Brett Easton Ellis, Colum McCann, Donna Tart, Paul Auster, mais peu l’ont détesté autant qu’Henry Miller. Né à Brooklyn, en 1891, il a évoqué son désamour pour sa ville dans plusieurs ouvrages, notamment Le Cauchemar climatisé, livre sur son retour forcé aux États-Unis, en 1940, après un voyage en Grèce et plusieurs années en France, alors que la guerre a commencé en Europe. 

« À New-York, ce que je préfère, c’est le quartier juif. Il me donne une impression de joie. Les gens du ghetto sont des étrangers ; quand je suis parmi eux, je ne suis plus à New York, mais parmi des Européens. C’est cela qui me plaît. Mais j’ai en horreur tout le côté progressiste et américain de New York. »

La librairie comme unique lieu de repos

Avec son nom proustien et son plafond étoilé, la librairie Albertine fascine les visiteurs depuis des années.

Miller s’est réconcilié avec son pays plus tard, lorsqu’il s’est installé à Big Sur, sur la côte californienne, mais il a fallu qu’il aille aussi loin qu’il le pouvait de New York pour trouver une forme de quiétude dans son propre pays. Cependant, on ne peut pas lui reprocher de préférer Paris ou la Grèce à New York. D’une part parce que ses écrits ont longtemps été interdits aux États-Unis. Ainsi Tropique du Cancer, paru en France en 1934, n’a été vendu chez lui qu’en 1961. Et encore, sa publication a fait l’objet d’une longue procédure judiciaire qui s’est achevée en 1964, déclarant enfin le livre non obscène. 

Et puis, il y a la folie de New York. Cette ville épuise le passant, mentalement, physiquement. Les moments de répit sont rares. On peut espérer les trouver auprès des canards de Central Park, logés ici été comme hiver. Ou dans une librairie, arrêt obligatoire de toutes ces escapades estivales. Il en existe désormais deux, à New York, pour acheter des ouvrages en français. D’abord, il y a la mythique Albertine. Son nom proustien et son plafond étoilé fascinent les visiteurs depuis des années. Située près du Metropolitan Museum, elle est devenue une institution pour les expatriés. Sur deux étages, on y trouve l’apaisement de la librairie de quartier, une parenthèse silencieuse et confinée au milieu des livres, dont certains ont été écrits pas loin d’ici. 

Plus bas, proche du Madison Square Garden (sorte de Bercy américain), on peut désormais s’arrêter à La Joie de Vivre. Avec son café attenant – condition obligée pour survivre en tant qu’établissement indépendant dans une ville où un loyer coûte le prix d’une voiture –, cette librairie propose des livres en français et en anglais dans une atmosphère presque parisienne. On s’y sent à la maison, au milieu des livres et des images de la capitale, et on ressort avec les bras chargés et le mal du pays. 

L’éternel retour

Malgré tous les défauts que lui trouve Henry Miller, il faut aller à New York pour en capter l’esprit. Il y a ce mouvement permanent, celui des individus, des véhicules, des commerces et des quartiers. Rien n’est jamais là où vous l’aviez laissé. Des magasins disparaissent, d’autres les remplacent. Des tours poussent à tous les coins de rue alors que l’espace semblait saturée. New York est une nouvelle destination à chaque voyage. On s’y balade en lignes droites infinies de 1st Street à 220th Street. Tous les adverbes lui siéent. Elle est insupportable pour les plus ruraux rêveurs, insondable pour les citadins endurcis. New York représente l’infini des possibles et surtout la possibilité pour tous les marginaux et les exubérants de trouver enfin un lieu où ils pourront se fondre dans la masse. 

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