Avenue des Géants vient de paraître en Folio. Marc Dugain signe un roman fort sur un adolescent confronté à ses démons, sur fond de huis clos et de grands espaces américains.
Marc Dugain a choisi dans son livre de romancer le personnage d’Ed Kemper, qui purge actuellement une peine de prison à vie à Vacaville (Californie) pour une dizaine de meurtres, sous les traits d’Al Kenner, personnage principal d’Avenue des Géants. Actuellement âgé de 65 ans, celui que l’on surnomme « l’ogre de Santa Cruz » prend donc assez fidèlement les traits du tueur en série sous la plume de Marc Dugain qui donne encore plus de force au propos en utilisant la première personne du singulier.
D’emblée, l’auteur distille par pincées la teneur du mal qui ronge très jeune son personnage : « Je venais de comprendre que tout ce qui était réel m’était interdit et j’étais loin de savoir pourquoi. » Ainsi le lecteur vit à travers le narrateur, Al Kenner, son entrée chaotique dans l’adolescence, puis son épopée meurtrière, depuis ses 15 ans jusqu’à son dernier meurtre, celui de sa propre mère et de son amie. « A aucun moment je n’imaginais que j’allais m’en sortir. Je souhaitais juste respirer un grand bol d’air avant de vivre ce qui m’attendait, la prison à vie, voire la chaise électrique ».
Tant désirées voire vitales à certains moments, les rares bouffées d’air qu’Al Kenner s’octroie sur les routes américaines, à bord de sa moto ou de sa Ford Galaxie le lassent très vite sans qu’il s’explique pourquoi. Alors il vide des bouteilles entières pour prendre congé de lui-même – « l’alcool et les drogues sont le seul moyen de se quitter un peu, sinon on est toujours avec soi-même et cela devient lourd, surtout pour des gens chez qui le sommeil s’invite rarement » – ou de cette société en mutation, qui en 1963, prône le vivre ensemble dans une vaste communauté où rien n’appartient à personne. Il exècre ces « sales hippies » tout comme il vomit ceux qui peuplent les hôpitaux psychiatriques, deux mondes parallèles qu’il côtoie, tout aussi malades à ses yeux. « Je ne leur aurais jamais fait de mal, mais franchement cette humanité me donnait la nausée avec son incontinence cérébrale ».
Ce roman n’est pas une description macabre des faits et gestes du jeune homme décrit par les psychiatres comme schizophrène paranoïde mais plutôt une recherche sur le développement de ce mécanisme jusqu’au passage à l’acte sanglant.
« Le sentiment que la vie vous a quitté de votre vivant est l’expression de la solitude absolue.»
L’auteur s’ingénie à rechercher, par la voix de son protagoniste, les effets déclencheurs, montre également le désarroi dans lequel ses irrépressibles pulsions le plongent, jusqu’à sa lutte contre lui-même et sa mère, ses plus grands ennemis. « Elle m’effrayait toujours autant. La pauvreté affective de son regard me faisait me sentir comme un pauvre bout de plasma qui traînait derrière elle. » Ainsi le roman décrypte les ressorts psychologiques de cet adolescent hors norme de 2,20 m pour 163 kg doté d’un QI plus élevé que celui d’Einstein. Aussi grand et intelligent que dénué d’amour et d’empathie.
« Je n’ai pas d’empathie, le mal que j’ai fait reste théorique. » Excessivement seul, toujours dans l’introspection, il cherche des réponses à ses actes fous. « Le sentiment que la vie vous a quitté de votre vivant est l’expression de la solitude absolue. Personne ne peut ni le comprendre, ni le partager. Commettre une destruction comparable à l’ampleur de cette béance est la seule façon de supporter cette mise à l’index de la vie, de vous rattacher à elle par le plus ténu des fils. »
Avenue des Géants, huitième roman de Marc Dugain, sortira aux Etats-Unis en 2014.
- Avenue des Géants, Marc Dugain, Folio, 432 p., 7,70 €, 27 septembre 2013
Séverine Osché