À regarder le paysage artistique contemporain et la jeune scène artistique, la nature paraît prendre une place importante à la fois dans la forme de l’œuvre et dans le processus de création. L’art s’empare d’un enjeu contemporain, celui du climat et cherche à sensibiliser le public sur l’environnement. Comme le firent les artistes de l’école de Barbizon, les artistes d’aujourd’hui s’engagent pour le climat et créent pour ouvrir une fenêtre sur un Éden saccagé.
Fascinante nature
Zeuxis et Parrhasius étaient maître dans l’art de faire passer leurs œuvres comme une imitation parfaite de la nature. Philostrate parlait de mimesis et l’on cherchait alors à représenter fidèlement ce que l’on voyait même si Aristote concédait la part d’imagination propre à l’artiste. C’est la pensée humaniste qui s’est affranchie de cette exigence de mimesis et qui s’est résolument tournée vers une représentation idéalisée de la nature, rendant ainsi grâce à l’individu. Naît alors le génie. Et plus précisément Léonard de Vinci. Ogni dipintore dipinge se disait-on à la Renaissance en Toscane.
Cependant, la nature se trouve en art bien avant la Renaissance ! L’art pariétal préhistorique représente une nature stylisée sur les parois de la grotte de Lascaux. Les Mayas et les Egyptiens transforment la nature pour en faire un langage sur les murs de leur temple. Puis, la Rome antique nous a livré de fabuleuses fresques de paysages dans les villas. Peu ouvertes sur l’extérieur, les villas romaines appelaient à une dimension esthétique du foyer. Aussi les paysages peints permettaient aux Romains de renouer avec l’idée de nature. L’art permet alors une projection vers une nature désirée.
Le paysage prend son essor à la fin du XVe siècle, aux alentours de 1460. On rêve de l’Arcadie et Et in Arcadia Ego résonne dans tout le XVIIe siècle. On y peint une nature idyllique, comme l’Éden dont on fut chassé. Les peintres s’intéressent aux détails de la nature, à ses phénomènes si peu perceptibles par le commun des mortels mais si lumineux par ceux qui ont le don d’observation. Léonard de Vinci a engagé toute cette réflexion. Ses tableaux représentent une nature mystérieuse comme enveloppée dans un voile qui modifie la perception. Léonard de Vinci a proposé une nouvelle vision de la nature et une nouvelle définition du peintre. Il était le peintre-scientifique qui, à travers ses peintures, réfléchissait à une cosmologie.
La nature, dans la peinture de la Renaissance et du Grand siècle, avait cette grâce divine qui traduisait ce désir de fusionner avec une nature perdue. La nature devient allégorique, célébration mythologique comme chez Botticelli. Les proportions sont parfaites, Brunelleschi a réglé la question de la perspective, les détails de la nature sont subtils. L’art figuratif prend un tournant et est un éloge spirituel de la nature et ce jusqu’au XIXe siècle avec les Romantiques qui décrivent les paysages de l’âme où la nature devient expression matérielle du moi.
De la même manière, les paysages dans la peinture chinoise représentent une nature philosophique qui permet aux peintres de s’affranchir d’un quotidien pesant. La représentation de la nature devient un pont vers un monde spirituel.
Nature sensible
C’est la nature romantique, celle que l’on n’a jamais vue mais que l’on a déjà sentie, que l’on imagine en son for intérieur. Turner et Caspar David Friedrich peignent une nature presque enragée, sublime dirait Kant.
Les impressionnistes ont consacré le paysage en tant qu’entité sensible. Il suffit d’aller au musée de l’Orangerie pour se plonger corps et âme dans les variations des Nymphéas, de s’oublier et de ne devenir que couleurs. Les paysages impressionnistes sont peints in situ, au grand air afin de saisir le vent, le bleu du ciel, les reflets du soleil sur les pétales des fleurs, bref, la Beauté du monde. Ce sont des artistes de la lumière et de la couleur. Leur pinceau tourbillonne, effleure la toile, prend sur le vif une sensation immédiate et exprime avec force une nature vivante, peut-être fantasmée, du moins une nature sublime. Le peintre Edward Moran imagine, lui, une nature inconnue, celle qui demeure au fond des abysses. En 1862, seule l’imagination peut savoir ce qui se tapit au fond de nos océans. Edward Moran donne dans Valley in the Sea une image tout à fait onirique et mystérieuse où la Terre et la Mer fusionnent.
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle la nature devient à nouveau un décor. L’Art nouveau la pare d’entrelacs décoratifs et la nature flirte avec la poésie. Les tonalités sont douces et l’on se souvient des fresques romaines qui habillaient les murs des domus. Alfons Mucha en est un des grands représentants. Notre rédactrice Marion Deleporte en fera une présentation depuis Prague.
Le XXe siècle est aussi le siècle des destructions avec deux guerres mondiales. Les peintres s’emparent de cette morosité et représentent une nature déconstruite, abstraite, cubiste. La nature morte n’en a que plus de sens alors ! La Symphonie colorée de Robert Delaunay esquisse une fleur, mais n’est-ce pas là une illusion ?
Un retour au Vivant
Aujourd’hui, la nature inonde l’art. Dans une époque où le climat est un enjeu essentiel, les artistes s’emparent de cette question et le font vibrer. Les artistes ne donnent pas de réponses, ils posent des questions. Ainsi, l’art a pris de multiples formes pour questionner la nature : installations, land art, photographies…
Nous voyons un véritable retour en force de la nature au sein de l’art. La nature n’y est plus idéalisée, elle n’est plus fantasmée, elle est convoquée par son absence et sa lente disparition. Les artistes s’inquiètent et cherchent à revenir aux origines, à une sensation de la terre et du vivant. On ne compte plus les expositions en lien avec elle : Fabrice Hyber à la Fondation Cartier, Eva Jospin et sa collaboration avec le musée de la Chasse et de la Nature, l’association Fertile, la Galerie Porte B. et son exposition Matières primaires, la Green Line Foundation… Aussi pourrais-je faire un name dropping à n’en plus finir des artistes qui travaillent la nature et l’honore. Moi-même au sein de notre agence artistique, plusieurs de nos artistes interrogent le Vivant et désirent revenir à une création plus raisonnée et plus consciente de notre environnement.
Les land-art éphémères de Giulia Zanvit redéfinissent les contours de l’exposition et s’affranchissent du cadre blanc de la galerie, les sculptures de Sylvain Le Corre convoquent la nature au sein même du foyer, les photographies et installations de Sarah Valente sont le pendant des fresques romaines et invitent à une douce rêverie, les peintures de Quentin Derouet ou de Solène Kerlo sont un hommage appuyé, à travers les matières utilisées, à l’art pariétal, les teintures de Juliette Salin sont issues du végétal… et j’en passe !
Deux mouvements se distinguent : l’un exalte la nature profuse et ses couleurs dans une sorte de continuité avec le pop art comme Takashi Murakami ou les œuvres digitales, l’autre revient à une sensibilité plus naturaliste de l’art, appelons ça le néo-naturalisme ou le naturalisme minimal, car tous ces artistes proposent un art qui est un éloge de la simplicité. Nul besoin de fioritures, il suffit d’un geste, d’un souffle, d’une proposition simple mais essentielle.
Pour le premier, l’exaltation des couleurs est un masque qui cache l’angoisse. Takashi Murakami raconte l’après Fukushima, une nature désolée et irradiée. Il y a quelque chose de très inquiétant dans ses fleurs gigantesques au sourire béat. On y ressent le malaise d’une société qui a perdu ses repères et qui avance le sourire aux lèvres, sans conscience.
Pour le second, l’art est un retour aux pensées primitives. On interroge la nature et son devenir car l’avenir est incertain. On propose de nouvelles forêts, de nouvelles fleurs, de nouvelles manières d’aborder la nature. On s’intéresse aux matières végétales, aux façons de mieux utiliser les matériaux comme les peintures ou les teintures végétales. Tout d’un coup, la fleur se dote à nouveau d’une âme. Le lien spirituel avec la nature est là. La nature devient l’essence même de l’art. L’artiste contemporaine marocaine Rita Alaoui s’inscrit dans cette démarche. Quelques-unes de ses œuvres sur toile de lin représentent des orpins gigantesques, fleurs d’après le déluge qui reconquièrent nos espaces et croient de façon exponentielle. Ses œuvres sont puissantes car simples. Le sujet est là. La fleur et Rita Alaoui qui recrée les jardins de nos grands-mères.
Les artistes se placent dans une sorte de reconquête de l’environnement. Ils crient leur besoin de nature et la volonté d’une symbiose, l’établissement d’un dialogue fructueux entre l’homme et la nature.