Salon du livre de Montréal 2024

Dans les allées du salon du livre de Montréal, à la recherche d’un esprit québécois

Toute la semaine, Zone Critique couvre le salon du livre de Montréal, et vous propose de découvrir mes meilleurs auteurs de la création contemporaine québécoise.

Palais des Congrès de Montréal, mercredi 27 novembre, un peu avant 9h. Les portes du salon du livre sont sur le point de s’ouvrir pour une nouvelle édition organisée dans toute la ville, bien au-delà de l’immense hall d’exposition situé près du Vieux-Montréal. Arpenter les allées de cet événement offre un aperçu sur les vedettes des prochaines rentrées littéraires en France et permet de découvrir les nouvelles voix du Québec. Visite guidée. 

Il ne faut pas craindre les enfants en ce premier jour du salon du livre de Montréal. Dès l’ouverture des portiques, ils envahissent les allées, courent d’un espace à l’autre jusqu’à épuisement, si bien qu’ils finissent, dès le milieu de matinée, allongés ou assis dans les endroits les plus incongrus du parc des expositions, un livre ou un encas en main. Tant mieux. Voir leur enthousiasme face aux mangas, BD et autres romans jeunesse devrait rassurer n’importe quel enseignant ou éducateur, mais là n’est pas le sujet de l’article. Recentrons-nous.

Comme chaque année, à l’approche de l’hiver, le salon du livre de Montréal est un événement littéraire majeur pour promouvoir la création locale. Considérée comme jeune et issue d’une tradition orale en lien avec le terroir, la littérature au Québec parvient à échapper aux cadres rigides forgés au fil des siècles en Europe. Il faut dire que le premier roman québécois (au sens moderne du terme) date de 1837 (L’Influence d’un livre de Philippe Aubert de Gaspé fils). Les décennies suivantes permettront à cette littérature de se structurer à travers des mouvements comme l’Ecole littéraire de Montréal (1895) et la figure d’Émile Nelligan (poète comparé à Rimbaud), puis un mouvement autour de la critique cléricale. Le XXe siècle sera marqué par Hector de Saint-Denys Garneau, l’un des premiers poètes à pratiquer le vers libre au Québec, ou des romans plus urbains comme ceux de Gabrielle Roy. 

Une tradition orale

Les années 1960 vont être un tournant majeur à la faveur de la révolution tranquille (révolution politique et sociale qui vise une modernisation des institutions à travers la laïcisation ou le développement de l’enseignement public) avec des artistes importants : Réjean Ducharme, Marie-Claire Blais, Anne Hébert… Il s’agit d’une « période charnière sur le plan institutionnel et c’est aussi à ce moment que l’adjectif québécois a été adopté (autour de 1964-1965) », précise Marie-Emmanuelle Lapointe, professeure au Département des littératures de langue française à l’université de Montréal. Enfin, à partir des années 2000, de nombreuses maisons d’édition vont être fondées au Québec et changer le paysage éditorial local. 

Cette très brève histoire de la littérature au Québec a pour but d’essayer de comprendre, comme le confirment plusieurs éditeurs dans les allées du salon du livre de Montréal, cette liberté de ton et de forme que l’on peut observer dans l’écriture contemporaine québécoise. Sans pour autant renier le passé, puisque les traditions orales et les récits liés aux territoires ou aux terroirs façonnent le roman moderne au Québec. Ainsi, les voix s’expriment de manière plus diverse, sans s’encombrer d’un genre littéraire, et le rapport aux éléments, ou à la matière, est au cœur des considérations lors du processus de création. Le Salon du livre de Montréal permet de les découvrir avant qu’elles n’arrivent en France, puisque les tractations vont fort, en cette période de l’année, pour acquérir les droits des futurs succès de librairie. En attendant de les retrouver chez nous, voici un repérage des prochains titres à paraître en 2025.  

Bientôt en librairie 

Au sein de la maison Alto, éditeur d’Éric Chacour, on cherche une sorte de réalisme magique qui flirte avec les romans de genre sans franchir cette frontière. C’est le cas du roman de Steve Poutré avec Lait Cru, un livre gothique à la ferme, ou d’Elise Turcotte dans Autoportrait d’une autre, récit hybride sur une tante disparue ayant fréquenté les Surréalistes, agrémenté de questionnements sur la création artistique. 

Chez Leméac, plusieurs titres vont arriver en France en 2025, notamment La colline qui travaille, de Philippe Manevy, racontant la vie d’une famille sur quatre générations, à Lyon. L’an prochain paraîtra également If, de Julien Gravelle, le récit d’une famille, dissimulant un secret depuis plusieurs générations, avec pour décor la cabane d’un trappeur dans la forêt boréale. Maison d’édition plus ancienne, dont la création remonte à 1957, elle publie des voix marquantes, comme Audrée Wilhelmy ou Wajdi Mouawad. 

Éditeur de Sébastien Dulude et Dominique Scali, les éditions La Peuplade, présentes en France et au Canada, proposent, en cette fin d’année, un texte engagé : Parmi les femmes, écrit par Aimée Lévesque. Ce récit poétique vise à mettre en avant les femmes oubliées par l’histoire à travers le monde. Plusieurs recueils de poésie – genre très apprécié des écrivains au Québec ces derniers temps – sont aussi mis en avant sur le salon, comme Le don de Kristina Gauthier-Landry ou Les pas fantômes de François Turcot.

Mémoire d’encrier, dont l’objectif est de donner une place aux voix oubliées, propose également plusieurs recueils de poésie, notamment celui de l’autrice Innu (peuple autochtone d’Amérique du nord) Rita Mestokosho, récompensée par une distinction importante au Québec, le prix du Gouverneur général. Dans son recueil, Le cœur du Caribou, elle explore le lien entre cet animal et les autochtones. La maison publie aussi l’autrice et anthropologue Yara El-Ghadban qui vient de recevoir le Prix Mare Nostrum 2024, dans la catégorie “roman Méditerranée”, pour La Danse des flamants roses

Il y aurait tellement de titres à citer, parmi ceux que nous allons retrouver bientôt en France, comme ceux d’Héliotrope, l’éditeur de Kev Lambert ; une bande dessinée de la maison Pow Pow, intitulée Mourir pour la cause, qui raconte la révolution des ouvriers francophones en 1963, et figure dans la sélection officielle 2025 du festival d’Angoulême ; le superbe Prince des oiseaux de haut vol, de Philippe Girard, sur le séjour de Saint-Exupéry au Canada, en 1942 ; ou les titres du Quartanier, de La Mèche et bien d’autres… 

Pour la plupart de ces titres, il faudra encore patienter quelques mois avant de les retrouver en librairie. Cependant, mettre en avant la création francophone est indispensable. La littérature a besoin de cette fougue, de cette capacité à dépasser les genres, et surtout à inclure. Car il s’agit aussi de l’une des particularités, ici, au Québec. La littérature inclut. Comme le dit Audrée Wilhelmy dans un entretien qu’elle nous a accordé : « La meilleure manière de vivre en société est d’être confiant par rapport à ce que l’on est et de réussir à accepter que l’autre ne soit pas comme nous. »


Publié

dans

,

par

Étiquettes :

Commentaires

Laisser un commentaire