La Nuit de David (Gallimard, 2024) est un roman à la fois poétique et émouvant, qui explore l’univers de l’enfance et les liens complexes entre les jumeaux. Abigail Assor y aborde des thèmes graves tels que les troubles psychiatriques chez l’enfant et la violence maternelle.
Dès leur enfance, Olive et David, jumeaux inséparables, évoluent dans un monde en apparence uni. Mais tandis qu’Olive grandit et se transforme en une fille jolie et intelligente, David semble stagner, incapable de s’adapter aux réalités de la vie. Olive devient la coqueluche de tous, proclamant fièrement : « Je suis née vedette. » Pendant ce temps, David peine à acquérir des compétences simples et à comprendre les rouages des liens sociaux.
“Il y avait toutes ces choses que mon frère ne savait pas faire, comme lire l’heure, distinguer sa droite de sa gauche, faire du vélo, et même lorsqu’il savait, comme pour la nage, il ne savait qu’une fois sur deux comme si les gestes, au lieu de s’imprimer dans sa chair, glissaient sur elle. Deux heures plus tôt (…), il avait oublié comment on fermait ses Méduses.”
La violence maternelle
David, perçu comme « anormal » par sa mère, subit peu à peu un rejet de plus en plus marqué de sa part. Ce mépris insidieux entraîne une spirale de comportements autodestructeurs chez l’enfant, qui, incompris, s’enferme dans la violence. Ce rejet maternel alimente sa frustration, qui finit par se matérialiser par des actes violents.
“Alors le diable David est sorti épouvantable. Mon frère s’est levé et a renversé d’un coup de pied le cheval à bascule. Il a déchiré chacune des épées en carton. À la force de ses ongles minuscules, il a ensuite déchiré la tenture en velours du muret. Les parents près de la grille lui jetaient des regards inquiets, et Maman s’est figée, une pochette surprise en lévitation à la main.”
David fait preuve de violence envers son environnement, mais aussi envers ses proches, souvent sans comprendre la gravité de ses actes.
“David a empoigné le couteau qui traînait dans l’herbe, près des écorces de pastèque. Il s’est jeté sur Maman en visant son visage avec la lame. Il criait : à l’attaque de pirates !”
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Le rêve irréalisable d’un enfant incompris
Derrière cette violence, David cache un monde intérieur riche, fait de rêves utopiques, notamment celui de se changer en train. Ce fantasme obsédant, qui devient son refuge face à un monde qu’il ne comprend pas, le relie à sa sœur Olive, à qui il extorque une promesse : ils partiront ensemble lors de la fameuse Nuit. Et alors, il deviendra un train, pour de bon.
“Il me racontait que lui, un jour, il deviendrait vraiment un train, à temps plein sur les rails, et il me racontait ce que ça faisait d’être un train, la vitesse sur la ligne droite.”
Pourtant, tandis qu’Olive s’éloigne de cet imaginaire enfantin pour se concentrer sur des préoccupations adolescentes, les garçons, la danse, les copines, David s’enfonce dans ses rêves, creusant un fossé entre eux.
Dans l’univers de l’enfance
Abigail Assor réussit à recréer l’univers unique de l’enfance à travers des objets et des références nostalgiques qui parleront aux générations X et Y : les tubes de Britney Spears, les sandales Méduse ou encore la montre Flik Flak. Les émotions, les jeux et les rêves des enfants sont retranscrits avec sensibilité, faisant ressurgir une douce insouciance empreinte de fraises Tagada et d’amis imaginaires.
Abigail Assor réussit à recréer l’univers unique de l’enfance à travers des objets et des références nostalgiques qui parleront aux générations X et Y
La psychologie des jumeaux est dépeinte avec justesse. David, en particulier, touche par sa fragilité. Sa marginalisation progressive et son rapport difficile avec sa mère, qui oscille entre rejet et maltraitance, forment le cœur émotionnel du récit.
“Je te dis que tu ne sais pas le faire, répétait Maman, je te dis que tu ne sais pas. D’une main, elle tentait de maintenir ses deux petits poignets dans son dos pendant que de l’autre, elle agrippait le slip.”
Une plume poétique et épurée
Si dans Aussi riche que le roi Assor avait opté pour un style foisonnant, sa plume est plus simple dans ce deuxième roman. Le texte gagne en fluidité, tout en gardant une dimension poétique. Les phrases sont plus posées, plus courtes, et contrastent avec l’agitation et le désordre de l’enfance.
La tension monte progressivement tout au long du roman, portée par l’attente de la fameuse Nuit qui promet un événement décisif. Le lecteur sent que quelque chose de tragique se prépare, et avance avec une curiosité teintée de crainte. Cependant, malgré une fin émouvante, celle-ci ne répond pas entièrement aux attentes que le début de l’histoire laissait entrevoir. Les multiples références à cette Nuit semblent érigées en piliers narratifs, mais manquent finalement de la force nécessaire pour porter le récit jusqu’à son point culminant.
Le roman souffre d’une narration fragmentée, composée d’anecdotes juxtaposées au fil des années, souvent sans lien direct entre elles. Ce choix stylistique rend la lecture parfois décousue. La succession de souvenirs, sans véritable progression dramatique, finit par lasser.
De même, certains chapitres paraissent redondants, avec une profusion de détails peut-être superflus et d’événements semblables qui se répètent indéfiniment sans réussir à faire avancer significativement l’histoire. La tension n’est vraiment palpable que dans les quarante dernières pages du roman, avec l’évocation d’incidents de plus en plus graves.
“C’est alors que la main de mon frère est devenue méchante. Elle pressait sur mon crâne pour m’empêcher de remonter.”
Finalement, La Nuit de David aborde des thèmes puissants et universels avec une grande sensibilité. Cependant, la structure éclatée et la montée en tension insuffisante risquent de frustrer certains lecteurs. Malgré ces faiblesses, le roman demeure une œuvre touchante, riche en émotions, qui interroge sur les liens familiaux et l’innocence perdue.
- La Nuit de David, Abigail Assor, Gallimard, 2024.
- Crédit photo : © Francesca Mantovani – Gallimard.
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