Dans ce second documentaire, sélectionné au festival Visions du Réel en 2022, le réalisateur taïwannais Elvis A-Liang Lu quitte la capitale et revient après 24 ans d’absence à Mixiang, son village natal. Son frère mi-médium mi-agriculteur, son père accro au jeu et sa mère deviennent sous sa caméra les protagonistes d’un drame familial poignant et lumineux.
Des volutes de fumée envahissent la pièce. Dans ce brouillard qui entoure statues et silhouettes, se tient A-Zhi, le médium du village, frère du réalisateur, qui vient se recueillir auprès de ses dieux taoïstes. Respectueusement, il leur chuchote quelques questions : comment faire pour résoudre les problèmes d’addiction de son père ? Et que faire de leurs dettes qui ne cessent de s’accumuler ? Puis-je me lancer dans un business de vente de tomates pour sauver la famille ? Et ce frère, de retour dans sa famille pour les filmer, qu’attend-il réellement de cette entreprise ? Face à une vie qui semble plombée par les préoccupations et la pauvreté, les dieux semblent silencieux. Et Ah-Zi, pantois, sans réponses.
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Ce ne sont pas ces divinités taiseuses auxquelles le réalisateur Elvis A-Liang Lu consacre son film. Ceux qui l’intéressent sont ceux qui les entourent quotidiennement de bougies et qui les dépoussièrent avec soin : son père accro au jeu criblé de dettes, sa mère, inquiète et travailleuse, et son frère qui vivotent autour de ces divinités en bois. De retour après 24 ans d’absence, le réalisateur les filme d’abord comme un anthropologue tenterait de filmer une population inconnue. Puis sa caméra à l’épaule faisant office de bouclier, il ose peu à peu s’introduire dans cette vie de famille. Au rythme de ses questions et des saisons, ce Didier Eribon taïwanais dresse un portrait de famille attentif et délicat. En creux apparaissent les raisons qui l’ont poussé à l’exil : les rituels étouffants, les croyances aveugles, l’incompréhension mutuelle teintée d’une forme de respect. Malgré cela, l’espace ouvert par la caméra devient celui de la communication et de la compréhension pour ces êtres que tout dans la vie a éloignés. Les reproches laissent place à des silences plus compréhensifs, les questions ne sont soudainement plus unilatérales, les grincements de dents laissent place à des rires bienveillants. Et finalement, en se filmant timidement dans un miroir, le fils prodigue finit par trouver sa place dans cette grande photo de famille.
I saw brief glimpses of beauty
« Quel âge tu as ? » demande le cinéaste. « L’âge de mourir » répond sa mère de manière détachée. C’est cette certitude qui mène Elvis A-Liang Lu à revenir chez lui. Persuadée qu’une mort imminente l’attend, sa mère l’a en effet appelé après des années de silence pour lui demander de la prendre en photo en vue de ses funérailles. Mais cette femme au visage creusé par la tourmente n’est pas encore morte ; au contraire. Qu’elle soit en train d’astiquer les statues comme elle procéderait à un rituel sacré ou en train d’évoquer son rêve de voir la mer, elle vibre d’une énergie à toute épreuve. C’est peut-être dans l’exploration de cette relation – le dernier plan où elle découvre pour la première fois la mer la met d’ailleurs en exergue – que le réalisateur creuse son plus beau sillon.
Et finalement, en se filmant timidement dans un miroir, le fils prodigue finit par trouver sa place dans cette grande photo de famille.
Le cinéaste porte plus loin la tradition du home movie et en fait un film à la sobriété maîtrisée, aussi bien dans sa narration que dans sa photographie. Le geste cinématographique du réalisateur porte alors en lui tout son sens : filmer est parfois le seul moyen de parler de et avec ceux qu’on aime.
- A Holy family d’Elvis A-Liang Lu, sortie le 27 novembre 2024.
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