En 2018, Charli XCX, avait été choisie pour faire la première partie de Taylor Swift pour sa tournée Taylor’s Reputation. La chanteuse britannique avait alors déclaré au magazine Pitchfork avoir eu l’impression de « monter sur scène et de faire coucou à des enfants de 5 ans ». Dans ce texte drôle et corrosif, Valentin Grimaud imagine la réaction de la star américaine.
– Je vais me la faire putain.
Taylor Swift l’avait mauvaise. C’était donc ça qu’on pensait. Elle tenait à la main les pages imprimées de la dernière cover story de Pitchfork (« Charli XCX est la pop star du futur », 6 août 2018), et ne pouvait s’empêcher de relire les phrases surlignées par sa RP. « Je suis reconnaissante envers Taylor de m’avoir proposé de l’accompagner sur cette tournée. Mais en tant qu’artiste, j’ai l’impression de monter sur scène pour faire coucou à des gamines de cinq ans. » C’était surtout « en tant qu’artiste » qui lui brûlait la rétine. Elles partageaient cette scène, bordel.
Ding.
Ouverture des portes de l’ascenseur.
Taylor déboula au 27e étage de l’hôtel, direction la chambre de la Britannique.
Trois coups nerveux.
Charli ouvrit la porte, l’air penaude.
– Oh, hey, Taylor, ça va ?
– Pour qui tu te prends ? Tu te crois investie d’une sorte de mission artistique ? Tu détestes à ce point participer à ma tournée ? Fallait que tu signifies au monde que t’es meilleure que tout ça ? Que tu méprises mes fans ?
– Tay, je n’ai jamais…
– Sans moi, tu n’aurais jamais eu ce genre d’audience. Je pensais que tu me soutenais, qu’on avait genre une sororité entre nous. Tu sais que j’écris, que je co-produis ma musique. Je te respecte en tant que parolière, machine à tubes, expérimentatrice. Je croyais que tu avais de l’estime pour mon travail.
Charli était sonnée, mais elle l’avait vu venir. Il lui fallait être droite dans ses bottes.
– Tu sais que j’ai commencé en tant que performeuse en rave party à Londres. J’ai toujours été dans l’underground. Je n’avais encore jamais joué en plein jour, sauf en festival. Cinq heures de l’après-midi, normalement j’émerge.
– Donc là, 13 heures, c’est déjà trop tôt pour que je vienne te parler, d’habitude tu dors ?
Silence.
– Où tu crois que tu peux chanter devant 50 000 personnes par soir ? T’avais déjà vu un stade plein avant ? Plus de 56 000 ce soir au Heinz Field de Pittsburgh.
– Écoute, je suis désolée, s’il faut publier un démenti, je le ferai, je dirai que c’était sorti de son contexte.
– Pas besoin de contexte, je crois que c’est assez explicite, « en tant qu’artiste, c’était comme faire coucou à des gamines de cinq ans ». Genre, qui sont tes fans en fait ? Ils ne te respectent même pas, ils leakent tes démos, te font signer des brosses à chiottes. Genre, ouais, ok, en tant qu’artiste, ton art a l’air tellement plus respecté. Vas-y, continue avec tes trucs niches.
– Non, mais tu vois, mon prochain album… Je prends des risques, j’essaye de faire avancer les choses.
– Qu’est-ce que tu fais avancer au juste ? Personne ici ne sait qui tu es. Qui est-ce que tu influences ? Moi, je peux changer le cours d’une élection.
Charli s’imagina l’étrangler. Taylor lui décocher un coup de pied dans le menton.
– Tu le sais ça, que mes fans pourraient démolir ta carrière. Il suffirait que je lève le petit doigt. Imagine chaque soir, des centaines de milliers de personnes qui te sifflent. Dieu merci je suis magnanime et respectueuse. Une vraie samaritaine. Trop bonne, trop conne d’offrir une plateforme à ton dédain. Ça me dégoûte que tu gagnes de l’argent grâce à moi. T’en dis quoi du fait que ton label t’oblige à continuer la tournée jusqu’au bout ?
– Écoute, j’ai peut-être mal dit les choses, mais je maintiens mon sentiment. Je ne veux plus être la première partie de personne. Il me faut de l’indépendance et de la clarté. Je ne peux pas continuer à être la moitié de l’artiste que je peux être. Je ne veux plus chanter ces chansons débiles qui ont eu du succès et qui ne me ressemblent pas.
– Et bah, je te souhaite bien du courage, à poursuivre l’art de tes trucs inécoutables. Je serais impressionnée si tu écrivais au moins une chanson personnelle. Tout ce que tu fais c’est du plastique, regarde ta tenue de concert. Et après, c’est moi la superficielle.
– Ma recherche est plastique, oui, c’est des textures, des matières, c’est de l’électronique. Je construis de nouveaux mondes.
– Moi, je rassemble le monde à mes concerts.
Charli n’osa répartir. Il y avait autant de grandeur que de ridicule dans cette dernière réplique. Taylor jeta ses impressions à terre, et partit en claquant la porte.
Avant de passer sur scène, Charli XCX observa sa tenue dans le miroir.
Quand elle entonna le refrain de « Fancy », elle prit conscience de la puissance d’une chanson. Oui, elle avait écrit ça.
Puis Charli fit ce qu’elle n’avait jamais fait. Elle assista au show de l’Américaine depuis le club VIP. Bob et lunettes fumées. L’engouement du stade la submergea.
Ce soir-là, la chanson surprise de Taylor Swift fut « A Place in This World », tiré de son premier album. Guitare voix.
I’m alone, on my own, and that’s all I know
I’ll be strong, I’ll be wrong, oh, but life goes on
Oh, I’m alone, on my own, and that’s all I know
Oh, I’m just a girl trying to find a place in this world
Charli eut soudain envie de prendre sa consœur dans ses bras. Elle était forte, putain.
Valentin Grimaud
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