Un corps lavé, tendu, affûté comme une lame. Un désir dressé, prêt à perforer l’attente. Tu sonnes. Bienvenue dans le Dimanche Rose, avec Sélia Louise Château… Il est trop tard pour reculer.
J’achète une ceinture et un dildo dans un magasin spécialisé.
Je sonne.
J’ai deux tresses reliées en chignon sur ma nuque et mon manteau de poilu.
Je
Vais
L’enculer
Je ris comme une enfant cachée sous le lit de son frère.
Un homme ouvre la porte. Me demande ce qu’il peut faire pour moi.
Je pense, je suis allée partout. Je reconnais dans le béton le garage de mes parents dans le sourire du vendeur le Nord de l’Angleterre, je dis
— Je cherche un gode-ceinture, pas trop gros le gode.
La taille S est en rupture de stock. L’homme pose la ceinture sur un cube en verre et glisse le gode taille M dans le deuxième anneau – il y en a trois. Il a les mains fines et le geste sûr.
Sur le chemin j’ai croisé des dildos tour Eiffel ; non, la blague coûte trop cher.
L’homme me montre les cabines d’essayage. J’enfile la ceinture qui me griffe les hanches. J’ai une bite. Noire. En caoutchouc.
— Tout se passe bien pour vous ?
J’ai envie de crier « j’ai une bite en caoutchouc ». Je me marre toute seule dans la cabine.
— Oui oui tout va bien.
Je repars, ceinture dans le sac. Je reviendrai pour le gode taille S. Je foncerai droit sur lui.
Revenir c’est déjà connaître. Je creuserai ma tranchée de la porte à la caisse. Les mêmes pas, plus pressés. Au comptoir la femme m’expliquera que si le gode nage dans l’anneau, on en trouve des plus petits dans les magasins de bricolage.
Je me dis ça tombe bien j’ai besoin d’un nouveau pommeau de douche je ferai d’une pierre, deux coups.
Je t’attends. Mon clito de chérubin joufflu, mes aisselles frottées au loofah, surtout la droite que l’effort physique fera fondre sur le t-shirt en mesh Vinted, mes poils épilés à la hâte ; tétons, menton, moustache, la sainte trinité des descendantes ritales, le correcteur en trainées de boue beige sur la peau du visage – à la lumière du jour j’ai l’air d’un champ de paysan bourré labourant en hoquets – je t’attends, petite chienne à la queue noire, je jappe sous l’eau calcaire, je me suis touchée six fois, j’ai tout misé sur l’entraînement ; mes doigts risquent un claquage.
Il me reste la langue.
Un jour j’attacherai chacune de mes dents à une poignée de porte, tu tireras fort. La voie libre, tu glisseras ton sexe dans ma bouche sans obstacles, je giclerai, le cœur aux gencives. Je serai femme fontaine femme cascade de sacrifices consentis pour que tu jouisses dedans.
Danse lascive au rythme du rebond des canines molaires incisives qui éclatent sur le carrelage d’une cuisine en formica. Imagine.
L’eau coagule ; mes cheveux en toiles d’araignée tapissent le sol de ma douche. Le rideau moisi dégoute de morceaux de moi ; sang menstruel, pisse écoresponsable.
Je t’attends. Ce matin j’ai fait l’exercice de l’extincteur – en levrette je serai solide sur mes appuis – j’ai avalé, nue, une saucisse végane à même l’évier, essuyé la trace d’huile sur le faux parquet, me suis vidée aux toilettes, lavé mes cheveux gorgés d’eau de riz, limé mes ongles dont j’ai mangé la peau. Je suis une capitale en plein JO, un couloir d’hôpital.
Aseptisée, propre et nette.
La limite à mon amour pour toi est dans le soin que je mets à me perfectionner. Je me grouille, m’éradique au savon, répète les gestes préliminaires à nos préliminaires ; gestes barrières, tu me pénètres sans m’atteindre.
Tu es la petite barque qui flotte à la surface d’un lac dont je suis le fond.
Tu n’iras pas au bout de mes peines. Je ferais tout, je jetterais la merde par la fenêtre, je resterais coincée dans la porte vitrée s’il le faut pour ne pas t’apparaître sans atours.
Je te méprise un peu de me laisser finir mon numéro, je voudrais que tu me surprennes, avant l’heure, que tu me voies, là, nue, les ongles de pieds trop longs, mon haleine de croquettes pour chat, les poils en pics anti-pigeons, le ventre qui gronde, je voudrais que tu m’épies, invisible, pendant que je bouffe au-dessus de l’évier mes restes viciés sans les cuire, la peau trouée de cicatrices, je voudrais que tu n’aimes pas à côté mais dedans ; dedans moi, dedans les entrailles, les reins, le côlon, l’intestin grêle, dedans la trainée de merde laissée sur l’alèse, je ne te parle pas de cracher dans ta bouche, de tout avaler, c’est trop facile, je te parle de boire ma cup pleine du dernier sang, noir et grumeleux, de manger les cheveux qui stagnent dans la douche, gonflés de sécrétions et de mousse de savon. Je voudrais que tu me baises le ventre plein, un ventre de quai de Seine, un ventre qui est exactement la somme de ce qui ne compte pas, qui garde jalousement ce qui fait honte, je voudrais que tu sentes ma glotte sous la langue ; si tu continues je vais vomir avant d’avoir joui mais – continue.
Tu sonnes.
J’ai poussé le vice jusqu’à t’attendre le cul sur ma chauffeuse, à faire semblant de lire la première phrase d’un livre en boucle, pas foutue de retenir un seul mot. Il y a une tisane posée sur la table basse en bois, une bougie que je n’allume que pour toi. Je suis prête.
Aseptisée, propre et nette.
Je t’ouvre.
Ce sera comme toujours.
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