L’écrivain Nicolas Krastev—Mckinnon s’est laissé happer par le monde sucré des cigarettes électroniques. Entre l’addiction féroce et l’impossible recherche de la bouffée parfaite, il explore dans ce texte l’empire de dépendance bâti par notre société d’enfants, où nos mauvaises habitudes font de la mort une expérience ludique.
Je suis tombé dedans comme un idiot.
« Essaye, tu vas voir, ça fonctionne bien ! », m’avait lancé un ami pour me convaincre. J’avais toujours méprisé les cigarettes électroniques. Je trouvais cela faux, kitsch, et pas assez agressif. C’est que je voulais brûler, peut-être.
Peu convaincu, j’ai tout de même acheté une première cigarette jetable, goût raisin glacé. Les premières heures, rien de grandiose. Un petit goût de sucre, d’accord, mais pas de paradis. Pourtant, j’ai persévéré. Quelques jours plus tard, un autre ami m’a donné l’adresse d’un magasin de cigarettes non jetables, et j’ai investi dans un modèle haut de gamme, design et perfide. Cette fois-ci, goût myrtille glacée.
En quelques semaines, ce petit bolide s’est introduit dans mon quotidien à une vitesse que l’on n’imagine pas. Je vapottais sans arrêt. Le pire, c’est que je n’avais pas arrêté les « vraies » cigarettes : je double-fumais. J’étais devenu un monstre de nicotine.
La cigarette électronique – dite CE – me maintenait dans un état de perpétuelle demande. Jamais satisfait, jamais mécontent. Mais toujours porté sur la prochaine bouffée, celle qui me ravirait, sur la bouffée finale, celle qui ne viendrait jamais. Je le savais à présent : aussi pressée que pressante, ne jurant que par le plaisir, la cigarette électronique était absolument moderne.
Dans la rue, je repérais désormais ceux qui souffraient du même mal, ceux qui n’arrêtaient pas de suçotter leur embout et de cracher de la fumée comme des trains à vapeur : nous étions dans le même bateau. Camés de l’ombre, et pas qu’un peu. Peu à peu, j’ai compris qu’il y avait tout un marché derrière ces milliards de tubes. Dopamine et nicotine s’étaient mis d’accord pour nous rouler dessus.
Après six mois d’une addiction féroce, j’ai décroché. C’en était trop. J’ai posé ma machine tout au fond de mon sac, me jurant de ne plus jamais la toucher. Résigné, je suis retourné à mes Camel fétiches, plus nocives, certes, mais combien moins perfides.
Si fumer tue, vapoter humilie. Que voulez-vous ? « Chacun s’agrippe comme il peut à sa mauvaise étoile. »
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