L’érotisme est-il autre chose qu’une manière de s’adresse à l’autre d’une manière plus humaine ? Ce n’est pas un coup de folie, ni même un redevenir-animal. C’est une subversion : les sens glissent et se tordent, les mots forment des images qui nous prennent soudain à partie. Se sentir vivant dans la chaleur d’un corps à corps solitaire. Avec ce texte, la narratrice s’adresse à un poète fictif auquel elle destine ses paroles. Alors gardez les yeux ouverts et laissez-vous promener par cette langue habile, poétique et délicieuse. Bienvenue dans le Dimanche Rose.
Cher ami,
Je recommence l’écriture de cette lettre pour la seconde fois ; la première, une minuscule rature m’a poussée à penser qu’elle n’était pas à ta hauteur, mais je sais que c’est faux, comme je sais que nous sommes notre plus grand critique, et que nos ratures ne sont que des preuves de notre personnalité. Je sais aussi que j’aimerais que tu me prennes avec mes erreurs et mes imperfections comme j’aimerais te prendre ainsi. Alors je t’écris, simplement.
Je suis troublée de ne plus avoir à guetter l’arrivée d’un bout de toi dans ma boîte aux lettres. Cette attente, cette envie, ce « peut-être », je les chéris comme je l’ai toujours fait ; je ne suis pas du genre à m’ennuyer dans l’attente, plutôt, je trouve cette attente plus exquise que jamais, car elle me rend belle, moi aussi ; plus rayonnante que jamais. J’ai patienté quelques petits jours qui m’ont semblé immenses, exactement comme j’ai eu l’impression de t’attendre, toi, pendant un temps qui m’a paru infini. Quelle insatisfaction alors, quelle illusion, car hier encore, tu le sais déjà, je t’écrivais quelque chose comme : « je zoome sur tes photos, je plonge dans tes iris, je cherche tes pupilles », et voilà qu’aujourd’hui
je caresse la matière de ton papier,
ce papier que tu as touché de
tes mains que j’embrasserais bien,
de tes doigts noueux qui me
regarderaient bien, comme ma bouche te regarde déjà,
ces doigts que je saurais bien embrasser, bien
comme il faut, désespérée, je scrute
chaque coin du papier où tu as posé tes yeux
je passe ma main là où tu l’as placée, je
traque ta chair, je te vois présent
partout là où ta plume s’est accrochée, figée dans
l’empreinte de tes mots creusés sur le papier.
Je te cherche, me cherche, je cherche à ressentir
et à sentir ton parfum peut-être, alors
je renifle, mon nez collé à toutes tes phrases mais il n’y a rien.
Je ne sens que la pulpe des feuilles
j’ai beau tout regarder, tout lire, tout chercher,
tes lettres sont en fuite
et leurs fuites me rendent marteau.
J’aimerais les voir s’agiter sous mes yeu
et battre comme je bats déjà
ici entre tes hampes, je me délecte
de chacun de tes traits.
Je savoure tes jambages, tes « J » majuscules piquants,
tes « t », « b », « l » minuscules plus rêveurs, penchés, courbés,
mais surtout, surtout, je raffole de la teinte
du rouge que tu dérobes à mes joues.
Quelle obsession, quelle frustration,
de ne rien trouver, de ne rien pouvoir te,
je cherche, te cherche, me moi seule
dans ton encre, je m’ancre, je trouve refuge,
je coule déjà sous la couverture chaude que tu m’offres
et je te pieds déjà, oui, tu l’as écrit,
je te pieds en effet,
je te yeux, et comme mes yeux t’engloutiraient
justement comme toi tu me bouche ;
vois-tu comme je deviens grise ?
Je te soif, tu me limonade rose-violette,
je te couche, je me laisse, livrée, apprivoisée,
tes vers sont impurs et tes vers impurs me plaisent
car c’est là que tout s’éteint dès que tout s’embrase
Les paysages sont bien beaux ici,
regarde comme la ville est jolie ici,
peut-être la traverserons-nous un jour ?
Le jardin d’amour, les expositions d’art contemporain,
et cette rue qui grimpe derrière la cathédrale
sous le soleil couchant est encore plus belle
la pierre jaune de ses murs y est plus jolie encore
et que tes yeux doivent être beaux
sous le feu de la pierre de Jaumont ! Alors
quand j’irai me promener pour que passe le temps,
attendant ta répons
demain, après-demain, après-après-demain
ce sont tes yeux, tes cheveux que je chercherai
je ne pourrai pas m’en empêche
ce sont tes mains que je croirai voir
agonisantes, suffocantes à la place des miennes
quand j’irai marcher, me balader, je penserai
que c’est en toi que je m’avance
que c’est dans toi que je bouge
même si seule la colline Sainte-Croix
se pourlèchera de mes pieds comme tu le ferais toi.
Je te verrai liquide, je te languerai tout humide,
tu deviendras cours d’eau, je serai un canard
qui se prélasse au bord de la Moselle
mais ma viscosité sera la mienne
seule hélas, je serai seule avec mon corps.
Quelle insatisfaction, plus haut, j’écrivais : quelle illusion
que de vouloir attendre encore ! De vouloir déjà
déjà te, te, quelle illusion, déjà !
Combien de mots aurons-nous l’un pour l’autre ?
Encore combien de tes mots pourront me tordre ?
Je ne le sais pas,
je ne veux pas le savoir.
Merci encore pour les livres. Je t’en enverrai un bientôt ; en attendant, je te laisse avec ces quelques mots, ces trois photos et mon parfum vaporisé à une vingtaine de centimètres de l’enveloppe.
Pense à moi comme je pense à toi,
Mira
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