Marine Piola

Mid Size Girl

Un métro bondé, une tension qui grimpe, des regards qui fuient. Puis une phrase, un coup de trop. Qui va réagir ? Qui va se taire ? Le monde est-il rempli de lâches qui regardent ailleurs ? Un texte haletant et juste de Victoria Gautier.    

Le métro arrive sur le quai. La lumière de ma rame est tamisée. Ambiance nocturne.

Trop de voyageurs déjà : je peine à trouver une place moulée sur mesure.

Les portes se referment. Des mains chaudes glissent sur la mienne. La barre en métal est froide.

Respire.

Respire. 

Elle me fait signe qu’il y a de la place et de l’air, là, tout près d’elle, dans le creux entre le strapontin relevé et la porte. Je m’y blottis. 

Elle porte un trench, des talons à la mode et un sourire à peine dessiné sur ses lèvres rouges. D’un regard, nous partageons notre détresse matinale de banlieusardes. Le métro n’a pas un train à prendre, lui. Il renâcle avant l’embranchement, clignote au moment de reprendre ses forces et repartir. Vieil attelage. Dans la pénombre, les écrans éclairent les visages éteints. On espère éviter le malaise voyageur. Ou pire, un suicide sur les rails…

Je transpire dans ma doudoune. Une goutte jusque dans mon dos s’écoule. Mon écharpe en laine rappeuse m’étrangle. Elle m’aide à l’ôter en jouant des coudes. Je sens ses ongles vernis d’un bleu électrique frôler ma nuque. Amandes acérées et félines. Notre voisin est surpris qu’on l’empêche de lire. Elle grogne plus fort que lui, d’un coup de cils déployés. 

Je n’aime pas le métro : il y a ce bruit assourdissant, combattu par les écouteurs qui crient encore plus fort, un cocktail d’odeurs parfois indéfinissables, parfois trop familières. Et puis il y a les gens, vu sous leur jour le plus honnête : gueules de bois, traces d’oreillers ou de dentifrice, sueur, morve, du vomi mélangé à la bière qui a coulé tout le long du wagon la veille.

Il y a ceux qui mangent, ceux qui se mouchent.

Il y a ceux qui ne sont pas réveillés, ceux qui révisent. 

Il y a ceux qui font attention à ne pas écraser les pieds des autres, et ceux qui poussent, prêts à écraser n’importe qui pour entrer. Comme si leur vie en dépendait.

Ce matin, je me trouve dans une boîte de sardines grasses tassées.

On perd patience et courtoisie dans ces moments de promiscuité accrue. 

C’est là que les loups réapparaissent avec leur barbe de trois jours. Cachés dans de beaux souliers vernis.

— Elle prend toute la place la grosse, putain ! 

Personne ne bouge. Peut-être que ça passera ? Mais ça ne passe pas.

— Tu peux pas éviter les transports en heure de pointe ? Tu nous feras gagner de l’espace, grosse vache !

Je regarde les autres hommes, intimement convaincue que c’est à eux de faire taire les leurs. Personne ne répond. Il y a les écouteurs, les écrans, les yeux rivés sur le sol, autant d’astuces pour faire comme si on avait rien vu, rien entendu.

Mais celle qui porte du rouge sur les lèvres n’a pas décidé de se taire par peur, ni par détresse. Elle le regarde avec dédain et ses yeux n’ont jamais autant répondu qu’à cet instant. Les mots n’auraient pas suffi. 

— Bah quoi ? Tu vas me dire que t’es une mid size girl et que sur les réseaux t’as la masse de followers ? 

Elle lui rit à la figure. Déconcerté, il a la queue toute rabaissée. Il ne sait plus où se mettre alors qu’elle approche pour sortir à la station. 

— Pousse-toi, tu fais pas le poids, connard.

Il s’écrase pour la laisser passer, la voix coupée. 

En partant, j’espérais échanger encore un sourire avec elle, n’importe quel dialogue invisible à emporter avec moi mais je n’ai reçu qu’un bref coup d’œil empreint de déception. 

Moi non plus, je ne fais pas le poids et je ne vaux pas mieux qu’eux. 


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