« Les hommes avec un gros nez possèdent un pénis de 29 % plus long que ceux avec un petit nez. » Certaines informations s’oublient plus difficilement que d’autres. Et une fois qu’elles sont en nous, c’est comme un virus… Peut-être que la taille ne compte pas, mais tout de même, ça vaut le coup de vérifier ! Dans ce texte mordant, l’écrivaine Lou Kanche fait du visage des autres le théâtre absurde d’une pensée obsessionnelle.
L’étude s’est affichée sur mon téléphone. J’ai lu sans lire d’abord, puis avec attention : LES HOMMES AVEC UN GROS NEZ POSSÈDENT UN PÉNIS DE 29% PLUS LONG QUE CEUX AVEC UN PETIT NEZ. J’en ai rien à foutre des hommes et de leur pénis, j’ai pensé, qu’est-ce que j’en ai à foutre. J’ai relevé les yeux de l’écran, un homme replié comme un accordéon se tenait accroché à la barre du métro. Nez retroussé. Petite bite le gland en l’air, et ensuite ça n’a pas cessé. Je n’ai fait que d’y penser. Ce qui me fascinait c’étaient les arrondis et les rondeurs, les trous, les interstices. Les manques. Je traquais la bite jusque dans des lieux où elle n’existait pas. Elle avalait tout sur son passage, ne me laissant aucun répit. J’avais beau me dire que c’était un trip freudien et qu’il allait finir par se tasser, que l’excitation allait retomber, un seul motif, ça vous tient pas des mois normalement : je me trompais. Des verges molles flottaient dans mon lait. Je parlais à des pénis. À tout moment la porte de mon bureau s’ouvrait sur un gland. Névrose obsessionnelle a statué mon psy. Il prenait des pincettes pour parler, m’expliquant que cela avait à voir avec l’existence d’un conflit intrapsychique, intrapsyquoi ? Déjà je trouvais que c’étaient juste des mots et j’étais pas sûre que de les connaitre allait m’aider à régler le schmilblick et puis en plus, mon psy était boudiné dans des jeans qui laissaient entrevoir une queue épaisse et mes séances consistaient à visualiser la circonvolution de son engin avant de payer. De connaître les causes, de nommer les symptômes, ça n’a fait qu’amplifier le phénomène. Dans ma tête tournait en boucle la bite névrose obsessionnelle de la bite, ça rajoutait des mots à la bite, c’était l’horreur. Un matin je me suis réveillée, je me suis vue à Sainte-Anne. Je voyais le grand bâtiment austère, les couloirs, le peu de lumière. La mère de Ludovic y avait fait un séjour quand on était en 4ᵉ, je me souviens que c’était pas très gai. Ludovic pleurait tout le temps, il se cachait sous les manteaux du couloir et sa mère, quand elle était revenue, elle savait plus parler. Alors tout bien considéré, c’était pas si grave, la bite, j’allais l’apprivoiser, apprendre à vivre avec. J’ai imaginé que les nez et tout le reste, en fait, c’étaient de petites bêtes, oh les jolis insectes, les jolis animaux desquels on peut s’approcher, tendre la main pour faire ami ami.
Le premier spécimen que j’ai décidé de mettre sous verre suivait des études de sémiologie. Je l’ai rencontré à une soirée où boire m’avait fait vomir mais pas oublier. On s’était échangé nos numéros, tu m’appelleras ? Il avait un nez immense. Bien sûr, je t’écris. — Salut, bien rentré ? c’était cool de te parler.
(Je retranscris mais c’est vrai que ce genre de conversation ne crée d’émotion que pour les personnes concernées, et encore, l’excitation était retombée et j‘ai dû me forcer à penser l’expérience d’un point de vue purement rationnel pour m’y engager.)
— Oui, et toi ? Ça te dit de boire un verre ces jours-ci ?
— Ok. Jeudi, 18h au Lou Pascalou ?
Je me suis maquillée avec application. J’ai songé devant le miroir que si j’avais été un homme, j’aurais eu une énorme queue. Je me suis épilée les jambes, c’était juillet déjà, on crevait de chaud, j’aimais pas toujours m’épiler mais ça me faisait quand même parfois mouiller d’avoir la jambe lisse. Je claque la porte. Je me trompe de chemin, je suis en retard, essoufflée. Il se tient appuyé contre le mur près du café, il s’est pas assis, il m’attendait, me propose ici ou là, je dis peu importe de toute façon y a pas d’ombre, tu veux rentrer à l’intérieur ? J’ai envie de répondre : rentrer à l’intérieur c’est un pléonasme mais tout de suite, c’est sa bite que j’imagine alors je dis juste : dehors c’est bien, et on s’assoit sur une chaise au milieu d’un brouhaha de mains tendues qui font tomber d’un mouvement vif les cendres de leurs cigarettes.
En fait sémiologie c’est sexy mais quand il m’explique en quoi ses études consistent, on dirait un cours de marketing. Est-ce qu’on est obligé d’autant parler ? Il se lève pour aller payer, j’essaie de deviner les mouvements de sa bite mais il porte une sorte de baggy sans forme et impossible d’entrevoir quoi que ce soit. Ce n’est pas que je veux baiser, non. C’est que je veux voir. Montre voir comme dit ma mère quand elle est énervée par quelques chose.
Quand il la sort, il a fallu boire et parler des heures avant et je suis exténuée. C’est bien ma veine, tant d’attente pour un petit bout de gras parce que c’est pas folichon au début, je me dis : un circoncis, un circoncis pas opérationnel. Il s’excuse, quand il fume des joints ça le fait débander, c’est pas grave, je dis, de toute façon il est super tard et je bosse demain, alors on reste sans rien dire et finalement on s’endort, deux sardines mal huilées côte à côte, englouties par la nuit. Mais le matin, ce n’est plus du tout la même chose. Le matin c’est un roc.
Tout tenait !
L’article disait vrai. La réalité n’était pas à mille lieux du langage, la réalité collait au langage, elle était dans le langage ou l’inverse et mon conflit intrapsyquoi était en train de s’évanouir tandis que devant moi la tour s’élevait, s’élevait… et je voyais Babel dans la poussière et des siècles à tout verticaliser et des crashs et des sexes au repos qui ne ressemblent pas aux sexes en érection mais à des escargots et il y a plus de différence entre deux sexes féminins ou deux sexes masculins qu’entre un sexe féminin et masculin et ça ne m’étonne pas, j’ai vu assez de bites maintenant pour dire que l’univers est en perpétuelle métamorphose et nos corps aussi. J’ai rassemblé mes affaires, j’ai dit Merci c’était sympa et c’est vrai, c’était sympa.
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