Un mercredi soir, la ligne 2 du métro bondé, devient le théâtre d’une réflexion inattendue. Entre visages croisés, souvenirs qui s’emmêlent et une étrange vision d’un monde sans trajets, le banal s’efface pour laisser place à l’inattendu. Et si un simple trajet pouvait tout changer ? C’est la question que pose Hortense Oury dans ce texte mordant.
Mercredi soir j’étais dans le métro. Ligne 2, 20 h 46. Sans surprise, la rame est bondée.
Je reviens d’un verre entre copines. C’est rare qu’on arrive toutes à se retrouver, même si nous habitons dans la même ville. Chacune a ses obligations. Le fameux équilibre « vie pro – vie perso » autour duquel notre vie s’organise et que nous devons absolument parvenir à trouver.
Pour ceux qui ne sont pas parisiens, la ligne 2 est celle qui traverse le nord de la ville. Elle passe par des quartiers autrefois complètement délaissés et aujourd’hui toujours un peu craignos. La Chapelle, Stalingrad, Jaurès…
Pendant le trajet nous sommes constamment sollicités par des personnes sans abri qui demandent quelques pièces de monnaie. Je vis à Paris depuis presque 10 ans, j’ai l’habitude d’être confrontée à la violence de la misère humaine. Même si je me suis forcée à m’y désensibiliser, je ressens en réalité toujours autant de peine au fond de moi. Je ne peux hélas que compatir et laisser défiler devant moi ce flux de personnes désespérées. La plupart sont droguées. J’ai parfois un peu peur. Par habitude, dans ces moments-là, je me mets dans ma bulle et j’écoute du rap pour me donner de la force. Franchement, ça fonctionne.
Partie dans mes pensées je me surprends à imaginer un monde dans lequel nous pourrions nous téléporter. C’est un peu enfantin, mais j’ai l’impression que c’est vers ce genre d’objectifs que le monde tend à toute allure. Remarquez, Elon Musk ne me paraît pas particulièrement mature. Je ne serais pas étonnée qu’après les taxis volants sans chauffeur, notre société cherche à mettre au point un moyen de nous déplacer via une puce implantée dans notre cerveau. L’espace d’un instant, je commence à lister tous les changements que provoquerait un mode de transport aussi évolué.
Premier constat, il n’y aurait plus de frontière. Plus de drames liés à l’immigration clandestine. Il n’y aurait plus de voiture, d’avion, de bus, de métro. Les personnes quitteraient les villes pour les bords de mer et les campagnes. Elles pourraient expérimenter le luxe de respirer sans être prisonnières de leur classe sociale. De mon côté, je profiterais beaucoup plus de Paris. Il me suffirait de fermer les yeux pour me retrouver devant le Sacré Cœur et me promener à Montmartre. D’ailleurs, il n’y aurait plus de touriste ! Les nationalités du monde entier pourraient cohabiter en permanence, si tant est que le concept de « nationalité » perdure… Ah, quel monde merveilleux. Plus de trajet à l’odeur de désolation, de loyers hors de prix, de météo pourrie ! Notre planète ne serait presque plus polluée ! L’espèce humaine serait sauvée !
Je reviens sur terre, j’ai failli rater ma station. Je sors du métro et remonte jusque chez moi.
Il y a du monde dans les rues. Je passe devant des restos qui sentent la friture et les épices. Ça me donne faim. Les gens ont l’air heureux de se retrouver, ils boivent des bières et fument des clopes après leur journée de travail. Je me réjouis de les observer, de me dire que j’étais à leur place il y a quelques minutes et que je pourrais l’être à nouveau dès demain.
Je prends autant de plaisir à les regarder parce que je viens de voir des gens très malheureux. Je suis bizarre vous pensez ? À un instant donné, parmi toutes les vies qu’il y a sur terre, certaines sont heureuses et d’autres pas. Voilà un autre constat.
Moi qui énumérais tous les bienfaits de la téléportation, mes méditations dans les transports m’amènent tout droit vers une réflexion convenue.
Elon Musk, sauve-nous !
Non, je rigole. À force de nous diriger vers l’évolution, nous risquons tangiblement de nous déshumaniser. Nous ne devrions pas oublier que l’expérience humaine repose avant tout sur le fait d’être vivants ensemble, en même temps et au même endroit. Certes, ce trajet en métro n’était pas des plus agréables, mais il a eu le mérite de me révéler la nécessité d’être confrontés les uns aux autres. Parfois, j’aimerais que les mauvais moments passent vite pour profiter des bons sans détours, puis je m’aperçois que les bons moments ne pourraient pas l’être sans passer par les mauvais. Croyez-moi, quand on se sent lasse et fatiguée par une vie trop rythmée, se rappeler certaines évidences primaires n’est pas dénué de sens. Ici, elles me montrent que, malgré les obstacles que je rencontre, j’ai de la chance d’avoir hâte de rentrer chez moi. À qui je ne pourrais pas souhaiter ça ?
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