Une simple conversation avec Severino, le portier, dévoile des terribles secrets enfouis entre les ombres de Paraíba et les lumières de Rio. Pour notre premier feuilleton, la plume incandescente d’Eva Ferenczi, vous plonge dans un univers violent mais poétique, où seule la survie compte. Découvrez dès maintenant le dernier épisode.
Aux heures où je rentrais et sortais de chez moi, c’était souvent Severino qui était assis sur la chaise, derrière la vitre de la guérite. Il faisait chaud la première fois qu’on s’était vu, l’été en train d’arriver. J’avais remarqué ses sourires et ses cheveux très noirs, légèrement ondulés, brillants, presque comme s’ils étaient gominés. En fait, la lumière venait de son sourire, ses dents. La lumière se réfléchissait sur ses dents. Comme moi, il était nouveau dans l’immeuble, faisait les remplacements, comblait les trous. De tous les portiers de l’immeuble, Severino était le seul véritable analphabète. Il disait souvent : parce que je suis analphabète, n’est-ce pas ? avec beaucoup de distinction. La mère de son fils, il y a longtemps, lorsqu’il habitait encore dans le nord-est, avait tenté de lui apprendre. Des femmes avaient essayé, récemment, une femme à l’église, en haut, dans la comunidade. Mais, il ne peut pas apprendre avec des femmes, c’est compliqué et ça finit toujours en queue de poisson, ça se transforme en autre chose.
— On prenait des risques, il reprend, le poison attaquait le corps. Y avait de quoi avoir peur, mais je n’avais pas peur. Les collègues mouraient vite, je peux pas dire que c’est pas vrai. Tout le monde s’affaiblissait vite après avoir commencé. Je me souviens un mec très fort, noir, grand, très costaud, la peau cuivrée, en bonne santé, très sain, très grand, avec des muscles gigantesques, capable de soulever un van à lui tout seul, à la force de ses bras, simplement. Trois, quatre fois, plus fort que moi. Plus même. Au bout de quelques mois, il était mort. D’abord, il avait commencé à tousser, ensuite, il était mort. Y avait la toux, y avait les crampes d’estomac aussi, un nœud très dur qui brûle, on n’arrivait plus à se lever, tenir debout. Ça m’était arrivé de sentir ça, moi aussi. Un jour, le noir n’était plus là. Moi, la différence, ce pour quoi je suis pas mort, c’est que j’ai toujours su faire attention. Au petit déjeuner, à quatre heure trente le matin, quand on arrivait dans la plantation, on nous donnait un gros petit déjeuner avec des noix, du maïs, du café. Après le travail, vers seize heures, le retour, je n’allais pas dormir ou boire comme d’autres, j’allais jouer au foot, même si j’étais épuisé, pour éliminer les toxines. Je savais faire attention, me protéger, c’était pour ça que je pouvais le faire ce travail, et que je suis pas mort.
Il tousse. La toux vient de cette époque-là, oui.
— Ici aussi, je fais attention, quand je bois trop de cachaça, jusqu’à tomber, je bois du lait le matin, ça enlève les toxines, pour la drogue aussi ça marche. Oui.
Il se porte très bien, sauf son genou qu’il a blessé au foot, depuis ça le lance. Dès qu’il reprend le sport, ça le lance à nouveau. Il était doué pour le foot, s’il n’y avait pas eu ça. Mais, en tout cas, il savait s’occuper de lui, conserver son corps en bonne santé, son apparence.
Parfois, il a une allure de rital, cheveux brillants, bien noirs, une allure fraîche de fleur lavée à grandes eaux, le corps labile et odorant ; d’autres fois, il se ramasse comme une motte de terre et d’herbe dans un fossé. Ce soir, je le trouve un peu émacié, les joues un peu creusées, les yeux troubles ; il me montre ses genoux, l’ancienne blessure, comment ça gonfle. Mais n’empêche, il insiste, il sait prendre soin de lui, il connaît toutes les plantes, la nature. Toutes les plantes sont des remèdes. À Paraíba, on trouvait tout facilement, directement à portée de main, ici, c’est plus compliqué, mais il trouve quand même des choses, il va chercher des herbes dans le parc derrière la favela quand il a mal au ventre, mal à la gorge, et il se soigne tout seul.
Une grosse Audi attend derrière la grille, et contraste avec nous. Les vitres teintées sont remontées, on dirait un char. Severino se presse. Il appuie sur le bouton et marche jusqu’à la voiture. La voiture s’engage dans l’allée pavée, tellement pesante, on dirait qu’à son passage, les pierres au sol vont se scinder, tout va éclater. Severino escorte la voiture. Lorsqu’il revient, je lui demande :
— Tu préférais là-bas, Paraíba ou ici ?
— Là-bas, il dit, c’est une souffrance, le travail est dur, la chaleur pendant le travail, parfois, je me suis évanoui sous la chaleur ; on tombait comme des mouches. Ici, le travail est moins dur, mais les gens sont agressifs, mal élevés, ils sont toujours pauvres, mais veulent juste consommer, et le corps ne va pas bien, pas aussi bien, les aliments ne sont pas bons, il fait trop froid.
Épisode 1 :
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Episode 2 :
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Episode 3 :
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