Une simple conversation avec Severino, le portier, dévoile des terribles secrets enfouis entre les ombres de Paraíba et les lumières de Rio. Pour notre premier feuilleton, la plume incandescente d’Eva Ferenczi, vous plonge dans un univers violent mais poétique, où seule la survie compte. Découvrez dès maintenant le troisième des quatre épisodes.
Je me gratte les chevilles à cause des moustiques, je remonte mes ongles le long des mollets, sous la jupe. Commence tout juste une série de type romantique, à la télé : une femme très jeune, un homme s’avance vers elle, quadragénaire, il l’attire vers lui d’un geste décidé. Il place ses mains sur les hanches de la fille. On sent qu’il jouit de ses hanches, qu’elles soient si petites, on voit quasiment les os, aux extrémités de chaque hanche, saillir juste ce qu’il faut. Et lui tout grand, fort et déterminé ; c’est excitant. Y a un parfum de viol qui flotte dans l’air même si on nous fait croire que tout va bien, que la fille rêve aussi du quadragénaire tout fort. Severino fait semblant de ne pas regarder, pour moi, par pudeur.
Il reprend — Y avait pas que cet ami-là qui avait le sang chaud, plein de cinglés là-bas, dans ma terre d’où je viens. Ça prend une seconde pour que les choses tournent mal et on peut perdre la vie. Faut toujours faire attention. Moi, il ne m’est jamais rien arrivé, mais parce que je sais comment me comporter. Je fais pas de vagues, j’emmerde personne, je laisse les autres faire ce qu’ils veulent. Une fois, un autre ami, une autre histoire, il a commencé à dire à l’un comment il devait penser, et celui à qui il l’a dit était un gars sanguin, irritable — tout le monde le savait — il a sorti son couteau et lui a tranché la gorge.
Il me montre son cou, l’endroit où le couteau est passé : — Voilà, il dit.
Ça va vite, faut pas donner de leçons aux autres, faut pas se mêler des femmes des autres. Lui-même en haut, dans la comunidade, la semaine dernière, il s’est fait avoir parce qu’il a dragué la femme d’un autre, mais il ne savait pas. Ça, c’est à cause du trafic, ceci dit, c’est autre chose. Avant, dans sa terre, c’était pour rien, juste parce que quelqu’un avait un mauvais caractère. Cela étant, lui, il a toujours su se protéger. Ici aussi d’ailleurs ; il est sorti vivant de cette affaire, maintenant, il fera attention.
Le soir du coup de couteau, ils auraient peut-être pu sauver le gars en question. Son beau-frère l’avait ramené, saignant, porté sur son dos, jusqu’à la porte de Severino. Le gars pissait le sang sur son épaule, et le sang avait commencé à tomber dans le vase de l’évier devant la porte, mais Severino, épuisé par le travail, ne s’était pas réveillé. Le lendemain, son beau-frère lui avait montré le sang dans le vase de l’évier qu’il avait mis devant la porte pour s’en défaire. Entre-temps, le collègue était mort.
— C’était ma faute, d’une certaine façon, dit Severino, et en même temps, ce n’était pas ma faute. Le travail était trop dur, on se levait à quatre heures tous les jours ; tous les jours, le soleil, la canne à sucre, le poison. Cana, cana, cana, uniquement ça. J’aurais peut-être pu le sauver grâce à la voiture, même si je ne sais pas lire, je sais conduire, il replace ses épaules, libère ses omoplates. Tu n’apprends rien là-bas, ce n’est pas un métier où tu évolues. Tu restes là, il montre le marchepied. Mais quand même, je voulais le faire, il dit, ça payait mieux, à peine, mais un peu mieux quand même, pour ceux qui mettaient le poison dans la plante, parce qu’on prenait des risques. Il poursuit son discours : de grandes plantes, gigantesques, plus hautes que toi, que moi ; dans le champ, le long du chemin, tu coupes la paille, la canne produit beaucoup de paille, en continu, comme une machine, elle en produit tout le temps, et toi tu coupes en permanence pour te frayer un chemin jusqu’à la plante. Tu sépares les mauvaises herbes, puis tu verses le poison dans le corps de la plante, à l’intérieur.
Épisode 1 :
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Episode 2 :
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Episode 4 :
https://zone-critique.com/creations/eva-ferenczi-severino-ep-4
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