Claire Von Corda

En Pause

Les voitures ne sont pas simplement réservées aux personnages de Fast and Furious. Dans une voiture, on s’isole, on se retrouve, parfois on se caresse. Tout peut arriver, dans le lieu étroit de l’habitacle, sur un parking, une pause déjeuner… Quand à l’immobilité du métal répond le mouvement féroce des corps. Pour ce dimanche, pas besoin d’attacher votre ceinture. Laissez-vous conduire par la grande Claire Von Corda pour ce texte à haute vitesse érotique. 

Victor me chauffe, et puis après, Victor m’oublie. Surexcitée, au taf, je charge les rouleaux, traverse l’atelier, attrape les plaques de PVC, charge les machines et surveille l’écran de mon portable toutes les secondes.

Depuis vingt minutes, il m’affole en me racontant toutes les saletés qu’il me ferait si nous étions nus dans sa caravane inventée, perdue dans le Lot ou n’importe quel bled débile et d’un coup, plus de réponse. Je ne sais pas s’il est parti se branler, mais moi, ça me démange. En plein milieu de l’action, il me mangeait la chatte, j’écartais les jambes, sa langue souple, moi trempée. Mes mots étaient peut-être trop crus, le message a été lu pourtant. Dans le bruit de fraisage et de coupe, les visuels s’impriment. Seule, je vérifie la température des encres ; mon binôme est parti dans l’après-midi. Plus que quatre exemplaires et la commande est finie. Mes pas, immenses et nerveux d’un bout à l’autre, le désir me brûle, Victor m’énerve. Il se dégonfle toujours au moment crucial. Aucun signe depuis six minutes, j’abandonne.

— Je peux prendre ma pause maintenant, chef ?

 Thierry check l’avancée du travail, l’horloge et sans sourciller :

— Ok, vas-y, par contre, arrête de m’appeler comme ça, ma grande !

— Oui chef !

Je tire la langue, évite le scotch qu’il balance dans mes jambes et sors de l’entrepôt – je suis dans tous mes états. 

Il fait nuit, plus que quelques voitures sur le parking, je m’enferme dans la mienne. Personne ne fume dehors, il fait trop froid, plus qu’une heure avant la fin.

Je recule le siège conducteur et relis l’échange de sexto, une main dans la culotte. Éclairée par mon portable, je fais défiler plusieurs fois les passages chauds. Sortis du contexte, ils me font moins d’effet, c’est vrai, je me branle fort et ferme les yeux. Je visualise la langue de Victor, sa bouche, essaie de retrouver son odeur. Il fait un truc quand il embrasse, c’est adorable, sexy, je mouille. Enfin de retour avec lui dans le fantasme de sa caravane quand soudain, quelqu’un tape à la vitre.

Hachid me fait signe dans le noir. Surprise et honteuse, je dégage ma main, éteint mon téléphone et ouvre la porte en râlant. « J’ai plus de clope je t’ai dit ! » Ce sale gosse qui n’en loupe pas une pour toujours éviter de bosser a lui aussi pris sa pause en me voyant sortir. Pour fumer avec toi, tu vois. Et il tombe son sourire de charmeur. Je ne sais pas ce qu’il a vu, ce qu’il a compris. Je rougis.

J’adore ce mec. Beau black, taiseux, grand, les cheveux ras, des yeux de chat. Parfois on se retrouve dans le même bus quand nos caisses tombent en rades. Bizarrement, elles se synchronisent.

Debout face à la portière, « il caille dehors », il fait le tour et s’invite en rentrant, 

— Tu me fais une place ? 

Je souffle en dégageant mes affaires 

— Je faisais un truc là !

— Allez, deux minutes, le temps de partager ça ! »

Il sort une cigarette industrielle de sa poche ; je pouffe.

Il frotte ses mains en soufflant dessus. Je sais que je lui plais, toutes les semaines il me propose d’aller boire un café que je refuse.

— Alors, qu’est-ce que tu manigançais dans le noir, avec ton téléphone ?

— J’appelais ta mère.

Il se marre dans un rire aigu, les dents découvertes puis me pousse l’épaule. T’es une coquine toi, je souris malgré moi, il répète ses mots, me pince la joue, je fais un smack dans l’air,

— Bon, on se la fume ta clope-cadeau ?

À ces mots, Hachid se marre : 

— Y a pas de « on » qui tienne, naïve, va !

— Gros nul ! 

Et je le gifle mais il attrape le poignet en vol. Je griffe dans le vide, un corbeau, il empoigne mon deuxième poignet, je m’essouffle, n’ai plus envie de bagarre, il est trop beau pour ça.

Sous la petite loupiotte de la voiture, ses yeux se plantent profondément dans les miens. Une chaleur boisée s’en dégage. Je veux son corps, il le devine et me rassure en disant :

— J’ai une biscotte en ce moment, tu sais ?

— C’est du sérieux ?

— Carrément ! Elle me rend fou. Mais toi et moi, c’est pas pareil. »

Et il se penche et me roule une pelle. Une pelle charnue, sensuelle, pleine et sexy. Je n’ai jamais connu de baiser si intense. Sa bouche enveloppe la mienne, ses doigts longs épousent ma joue. Aucune hargne, force, il n’est que douceur, je me sens précieuse. Sa langue glisse. Il dose à la perfection, le temps, les smacks, les respirations. Je me laisse faire comme une débutante. Mon visage disparait dans ses paumes, il m’avale. Chaque partie de mon corps l’attire, il m’embrasse le cou, remonte mes cheveux, suce mes oreilles. La caravane de Victor disparaît, je ne pense qu’à Hachid, je ne pense plus, j’existe dans la voiture qui nous protège du monde.

Et sans savoir comment, je me retrouve en position semi-allongée avec lui qui me dévore calmement la bouche. Comme s’il voulait en garder pour demain. Ses mains parcourent mon corps, se glissent sous mon tee-shirt, je dois sentir la transpiration. Sa peau, douce, sans poils, il se déshabille, ses abdos travaillés, « t’es beau » je souffle. « T’es belle » il répond. Mes tétons s’écrasent sous son buste. Une violente envie qu’il me pénètre me brûle le sexe. Je n’ose pas lui demander, il me branle, mets des doigts. Agiles, ils me trempent. Je ne sais pas quoi faire des miens.  De toute façon, il les attrape et les suce en me fixant ; je suis son jouet. Je les dirige alors vers son sexe. Quand je l’attrape, coincé dans son pantalon de travail, la rigidité, la taille m’impressionne tellement que mes yeux ont du mal à se défaire des siens. Il ne dit rien, il m’embrasse. Le contact me donne envie de ne jamais le lâcher, de croire que son cœur bat pour moi. Hachid a la sensualité d’une louve, la suavité d’un félin. Souple, rythmé, délicat. Je le masturbe aussi amoureusement qu’il le feint sur moi. Notre étreinte, pleine de promesses, de tendresse. Les liens se font, notre histoire ne disparait pas, il met plusieurs doigts, me transporte par ses gestes. Je me cambre, m’oublie. La voiture s’agrandit, le plafond devient la voute céleste et son souffle le battement de la nuit. Je me cramponne à ses épaules, nous sommes très proches l’un de l’autre. La chaleur grimpe, la cadence soutenue, celle des machines, l’odeur d’encre dans sa nuque. Nos bouches collées, je pourrais mourir pour lui, tomber amoureuse et lui jurer de lui appartenir à tout jamais. Partir en voyage, déménager, cet instant grave une richesse ; je suis au centre chaud du monde. L’orgasme me tient dans le présent adorable de Hachid, il éclipse les hommes passés. Mon ventre s’ouvre, intense, mon désir touche la lune. Hachid se fond en moi. Les nuits sont longues, Hachid les remplis. Sa langue vive, son sexe, un tronc. Je me harponne. Des racines, mon point d’ancrage de la Terre. Son front épouse le mien, son buste respire contre et nos souffles unis, se chargent. Ils deviennent lourds, profonds. Nuit noire. Il murmure des mots secrets, je préfère ne pas comprendre, ne pas croire au futur. Ses doigts avalés par mon sexe, ma cage thoracique sans barrière, mes peurs dans la paume de Hachid. Le sorcier de mon âme, son guérisseur. Il me tue, me fait du bien, notre petite mort. Et son sexe bat, il vibre, il va jouir, je le garde serré à mon ventre, à ma cuisse, je ne sais plus où est mon corps. Nu, il appartient à Hachid. Son sperme jaillit en coulis pailleté sur mon flanc. Ma mouille se répand jusqu’à son poignet. Des spasmes fiévreux nous cognent l’un à l’autre. Mes hanches, mes épaules. Il crie des sons secs, des râles, une panthère noire. Je le regarde en silence revenir au monde de vivants. L’orgasme part, la chaleur reste. Nos yeux ne se lâchent pas, les mots ne se trouvent pas. Notre secret balancé aux étoiles, notre nuit est immense.

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