Après un premier roman publié en 2019, Un Inventaire des silences est le premier recueil de poèmes de la Québecoise Marie-Eve Muller. Elle y propose de rassembler des fragments de sa vie – et de sa vie amoureuse. Se noyant dans les émotions que lui procure la fin d’une histoire amoureuse intense, elle apprend, poème après poème, à sortir la tête de l’eau. Jusqu’où peut-on se perdre et se laisser étouffer pour la personne que l’on aime ?
![Un Inventaire des silences, Marie-Eve Muller](https://bo.zone-critique.com/wp-content/uploads/2024/12/61PGEFdsnOL._SL1500_-589x1024.jpg)
Dans ce recueil de poèmes autofictionnels, la narratrice nous propose de suivre un moment difficile de sa vie : alors qu’elle prévoyait de fonder une famille avec sa compagne, de nombreux obstacles la poussent vers une rupture.
L’absence de ponctuation au sein des poèmes renforce l’impression d’oralité. Comme un cri du cœur, elle note jour après jour, ce qu’elle ressentait et ce qu’elle redoutait, la déchéance de la relation et par-dessus tout, la perte de l’être cher qui était devenu comme une part d’elle-même.
Je fais la liste des choses
qui me manquent depuis ton départ
elles se résument toutes à
un inventaire du silence
La narration du quotidien
Ce recueil de poèmes n’est pas novateur par son thème mais bien par la manière dont il est abordé. De la relation amoureuse et son éventuelle fin, à l’alcoolisme, en passant par la volonté de devenir parents et la pandémie du Covid, chaque lecteur.ice peut se retrouver dans l’un des sujets évoqués.
Chaque lecteur.ice peut se retrouver dans l’un des sujets évoqués, que ce soit dans un souvenir positif ou, comme pour la narratrice, dans les vagues du tourment.
Grâce à une écriture au présent et des métaphores aquatiques, la narratrice nous transmet ses réflexions sur cette famille qui ne verra jamais le jour. Les métaphores qui traduisent l’expression de son intériorité, retranscrivent sa suffocation :
À chaque marche que tu descends
je m’enfonce un peu plus
dans la gélatine des méduses
Pour faire son deuil, puis se retrouver pleinement, Marie-Eve Muller retrace le chemin qui l’a menée jusqu’à la séparation : « au début j’aime quand sur notre divan-bateau // nous dérivons ». Malheureusement, ce divan-bateau devient vite un « naufrage ». La solitude s’empare en effet de la narratrice qui se sent délaissée par sa compagne alcoolique.
Épreuve après épreuve
Comme le laisse présager le titre du recueil, celui-ci se construit à partir des différents épisodes de solitude qu’elle a pu vivre et subir et qui ont fait d’elle une écrivaine. L’une des scènes les plus déchirantes du recueil décrit ainsi le rêve que fait la narratrice d’être mère, alors même qu’elle cherche à avoir un enfant avec sa compagne ; un rêve qui se termine de manière sanglante :
entre mes cuisses un fleuve incarnat
l’appel du grand requin blanc
draps tachés
ventre de bois mort
sec
Pourtant, cette épreuve, elle doit la surmonter seule : toi, tu as continué à dormir, continue-t-elle ainsi. N’a-t-elle pas voulu réveiller sa compagne ? N’a-t-elle pas pu ? Cet événement sera l’élément déclencheur de la destruction du couple.
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Sa compagne se met ainsi à disparaître à petit feu, laissant la narratrice seule, dans un isolement qui peut paraître d’autant plus pesant qu’elle doit prendre soin d’une femme dont « les drapeaux rouges balisent les pages » de son carnet. Ces derniers sont pourtant bien vite effacés par le déni amoureux.
Un apprentissage de soi
Alors que l’amour devient semblable à un ban de méduses, qui l’emprisonne, la pique, la paralyse, et que sa compagne la quitte une première fois, la narratrice apprend de chaque nouveau silence, de chaque nouvelle absence.
Je suis forte
je peux te porter mais
toutes les deux on le sait
tu restes plus grande sur tes pieds
Le recueil est structuré en sept parties, plaçant au centre, le passage qui traite du refus de la rupture, de la tendance à vouloir se perdre pour le retour de l’autre. Elle ne peut accepter que sa compagne soit partie, et elle n’est pas encore en mesure de voir les raisons pour lesquelles cette rupture lui est bénéfique. Au contraire, elle se noie dans le vide qu’a laissé son départ. Mais est-ce réellement son absence physique qui a créé le vide dans la vie de la narratrice ?
Combien de temps encore
en haut des escaliers
crierai-je « Salut ! »
dans la joie et la hâte
avant de rencontrer
le vide ?
Ce temps vécu loin de l’autre prend finalement la forme d’une libération, d’une prise de conscience qui pousse la narratrice à mettre un terme définitif à sa liaison. Cette séparation forcée, douloureuse, presque mortelle lui fait prendre conscience qu’elle ne peut pas s’occuper à la fois de sa compagne et d’elle-même. C’est donc en pleine conscience de soi, de sa force et de liberté qu’elle écrit ces poèmes, et c’est à travers ce deuil qu’elle apprend à vivre.
Se choisissant finalement, elle embrasse la solitude qui la faisait souffrir au début du recueil, pour se l’approprier et la transmuter.
- Un Inventaire des silences, Marie-Eve Muller, L’instant même, 2024.
- Crédit photo : © Gundula Friese
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