L’Australie de La Légende de Molly Johnson est celle de la fin du XIXe siècle, celle de paysages rudes et de la violence des rapports entre colons et Aborigènes. Au centre du récit, Molly, femme isolée dans sa ferme, qui lutte pour survivre.
La Légende de Molly Johnson est un western avec, pour toile de fond, l’Australie. On y retrouve les codes du genre : des paysages immenses et déserts, des gardiens de troupeaux dénommés ici drovers, une terre sauvage à dompter en même temps que l’éclosion de villes nouvelles. Il y a des bagarres dans les saloons, un shérif et un juge, des repris de justice. L’écriture, au style sans relief particulier, évoque elle-même cet univers par son aspect sobre, parfois populaire qui imite aussi le procédé cinématographique : un plan général de la scène à la troisième personne laisse soudain place à un récit à la première personne, à la manière des plans d’une caméra qui s’adapterait aux différents points de vue.
Mais de ce territoire balisé du western, Leah Purcell se détache d’abord par la géographie. Non plus les plaines et l’aridité de l’Ouest américain, mais les Snowy Mountains – les Alpes australiennes au sud du pays. Non plus les tribus indiennes, mais les Aborigènes dont la langue et les coutumes percent régulièrement le récit. On devine les origines Goa, Gunggari et Wakka Wakka Murri de l’auteure qui, loin d’un exotisme facile, place le récit dans le quotidien des autochtones australiens : l’eucalyptus des neiges qui ouvre et clôt le roman, silhouette féminine symbolique de cette partie de l’Australie. Le wombat, gros marsupial herbivore, et le serpent à tête cuivrée à la dangerosité fascinante. La gongee (maison en ngarigo) et la njadjan (maman) comme figures protectrices.
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Colonisation, injustice et racisme
Surtout, il s’agit du sombre destin de peuples colonisés par la force, dont les terres ont été spoliées. Il s’agit d’injustice et de racisme, par le viol d’une Aborigène de quatorze ans, ou par les paroles d’’un enfant de huit ans qui s’exclame « Mère, je me suis abattu un indigène ! » et qui reçoit pour simple réponse « On dit j’ai abattu un indigène ».
Ne pas oublier cette réalité. Ne pas être aussi naïfs que le couple anglais mis en scène à dessein par Leah Purcell et venu s’installer dans le pays, s’imaginant élever une famille dans un cadre pittoresque et pacifique. Car si l’esclavage a été officiellement aboli au Royaume-Uni en 1838, on perçoit bien comment des pratiques similaires ont longtemps perduré, sous la forme du blackbirding des îles du Pacifique à l’engagisme de la zone Atlantique (recrutement forcé, salaires dérisoires, contrats de travail non révocables…). La Légende de Molly Johnson est un rappel essentiel à ceux qui voudraient croire, dans un débat toujours vif en Australie (History Wars), que la colonisation s’est faite de manière pacifique et bénéfique pour les Aborigènes.
La Légende de Molly Johnson est un rappel essentiel à ceux qui voudraient croire, dans un débat toujours vif en Australie (History Wars), que la colonisation s’est faite de manière pacifique et bénéfique pour les Aborigènes
Une femme qui lutte
Quelle est alors l’histoire de Molly Johnson ? C’est celle d’une femme qui lutte. Contre les éléments naturels d’abord, les bêtes sauvages et les crues. Contre la violence d’un système qui la conduit au bord de la famine. Une femme qui lutte dans un monde d’hommes : le drover violent, le pasteur trop paternaliste qui veut lui confisquer ses enfants, le juge sans cœur, le chef de police gentil mais naïf. Autant d’archétypes masculins négatifs auquel seul échappe l’aborigène Yadaka rencontré par Molly, et avec qui se tisse une relation complexe. Sa description en finesse laisse deviner son passé trouble, ses espoirs et ses faiblesses.
Le personnage de Molly est également travaillé en profondeur, par son regard d’abord équivoque sur la condition aborigène, qui se transforme progressivement lorsque remontent peu à peu les souvenirs de ses propres origines. Par la relation amoureuse avec Yadaka, qu’elle recherche autant qu’elle évite. Par sa lutte, qui va loin, trop loin sans doute. Car Molly est une femme qui cherche à survivre, non tellement pour elle, mais pour ses enfants, seuls espoirs d’une mémoire à venir. Cette mémoire, c’est également celle de Yadaca, adopté à l’âge adulte par une Aborigène sans enfant, précisément pour qu’elle puisse lui transmettre son histoire. C’est celle de la femme du couple anglais, venue dans l’intention de créer un journal féministe, mais qui en découvrant la réalité de la vie de Molly décide de la relater par écrit. C’est la nôtre enfin, racontée par Leah Purcell, afin que nous n’oubliions pas ce qui a été commis par tous les colonialismes.
- La Légende de Molly Johnson, Leah Purcell, Synchronique, 2024.
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