C’est bien connu, les garçons aiment les camions. Piloter un gros camion avec des puissants klaxons pour traverser la highway. Et puis, s’arrêter sur une aire d’autoroute. Ici, des femmes se pressent pour faire croire aux hommes qu’elles aiment aussi leur beau camion. Un texte redoutable et vénéneux écrit par Claire Von Corda.
Non, pas vraiment… Des femmes attendent, des femmes
gros camions qui klaxonnent puissamment en traversant des highways désertes, ou no
Son truc à lui c’est les camions. Depuis tout petit déjà, il est grand maintenant, adulte en fait. Le poids, la masse et la longueur. T’imagines l’engin, ça fuse sur l’autoroute. Les couleurs aussi, c’est cool. Ou les slogans, en roumain c’est mieux. Sans parler des drapeaux, des mascottes ou des guirlandes suspendues au rétro. D’ailleurs ici, il n’y a pas grand-chose, elle est minimale ta déco ! constate Gustave, nerveux, en hochant la tête. Après avoir relevé un par un tous les détails de la cabine, des phrases précipitées, il cherche, en se grattant les ongles, comment poursuivre son baratin.
Sur le chemin, il s’était entraîné, avait répété dans sa tête. En marchant sur le bitume, les yeux rivés sur ses vieilles Adidas, il réfléchissait à comment présenter l’idée, quels mots choisir. Depuis le suicide de son frère, tout a changé ici. C’est pour ça qu’il ne vient plus. Sa mère ne se gêne pas pour les reproches, « t’es pressé de partir » elle râle quand il descend du train pour le weekend. La banlieue de Caen. Des bleds paumés, des maisons grises, des voisins gris. Et puis les années lycée, les bagnoles des parents, les mauvaises clopes, les cours séchés ; des souvenirs gris. La périphérie normande.
Il sait qu’il y a un parc à camions ici, et que dans chaque camion, il y a une pute mexicaine. Bon, pas des masses, mais suffisamment pour satisfaire et varier. Gustave n’a pas osé faire ça souvent, c’est même la première fois. Pour ça qu’il a répété dans sa tête, il est super intimidé. Mais là, il bloque, il a tout oublié.
Dans le silence, place passager, il se sent con. La nuit n’a pas de lune, elle est moite. Des feuillages noirs débordent sur le toit de l’entrepôt à gauche. Du goudron, des grillages.
Gustave a marché pour venir, il n’a pas voulu prendre son vélo. Il a marché le long de la route, celle qui fait sortir de la ville. Y a pas de bagnoles dans le coin, personne ne circule à cette époque de l’année. Novembre, qu’est-ce que les gens viendraient foutre. En plus, ça caille l’hiver.
Il sait, par qui il a oublié, que lorsque les phares sont allumés, ça signifie que la fille est libre. Il ne voulait pas que ce soit long, il a marché trente-cinq minutes, la buée sortait de sa bouche, ses mains n’avaient pas encore le bout gelé. Gustave aime les banlieues industrielles ; ses errances d’adolescent. Il a vu des hangars, des entrepôts, des machines sur roues. Depuis qu’il n’habite plus ici, il a perdu le fil, il ne sait plus quelle boîte a repris quoi. Ses potes aussi sont partis, Paris. Ceux qui sont restés, il s’en fout, il les croise vite fait au bar mais de toute façon, depuis la mort du frère il ne reste plus assez pour sortir prendre un verre. Il a longé des clôtures pour venir. Un tas de grillages avec des ronces qui griffent le jean. Le froid pas vraiment glaçant, mais froid quand même, sur le nez. Il a marché sur le goudron immaculé de la route silencieuse, a grimpé sur le rond-point gris foncé. Le bitume, la même couleur que le ciel.
Du cash sur lui, il a pensé à retirer, il n’est pas excité. Même s’il y pense, qu’il imagine le plan, les détails, il n’arrive pas à bander, il marche. Gustave aime les routines. La prostitution change ses routines. Un défi personnel, le combat de ses peurs. Oui, ça l’inquiète. Et s’il ne bandait pas, s’il ne trouvait pas la fille assez douée. Ou bonne.
Mais en rentrant par le portail tordu, en arrivant sur le terrain, ses doutes s’envolent aussitôt. Sur le parking des camions, un seul est libre, les deux autres sombres, une meuf fume une clope de dos. En entendant les pas de Gustave sur le gravier, elle se retourne et crache la fumée ; elle prend trois secondes pour esquisser un sourire.
Tu veux monter, elle affirme. Gustave regardait la bête sur roue derrière la petite femme. Habillée en pute, il n’aime pas ça, botes en skaï, minijupe fuchsia, cheveux lissés noirs. Du maquillage partout. Une trique de taureau. Un pic de chaleur le fait transpirer sous sa parka. La meuf ouvre la sienne matelassée. Sous la lumière du lampadaire lointain, il voit deux seins tendus vers l’horizon, parallèles au sol, des tétons sombres, une peau sombre, des seins de guerre. Sa bite lui fait mal, il a envie de plus.
Ouais je veux monter, il déclare en s’approchant.
Elle annonce les prix, oui il répond sans écouter, elle ouvre la portière, et là, Gustave se souvient de cette phrase. « Le mieux dans l’amour c’est quand on monte les escaliers. » Il voit ce petit cul se dandiner, monter les trois marches du camion et disparaître en haut ; il va jouir vite, les doutes de Gustave s’envolent.
La banquette est large, la meuf n’est pas derrière le volant. Gustave s’est senti obligé de raconter toute cette histoire du camion, même pour lui ça l’a aidé, l’a calmé, le préambule. Il aurait pu jouir rien qu’en la matant, c’est con. Elle croisait et décroisait les jambes en écoutant. Maintenant, Gustave bloque, n’a plus de parole.
La professionnelle du sexe prend le relais. Les seins, toujours jaillissant de la doudoune, elle tend une capote, l’emballage brille dans la nuit et dans un accent sexy mais banal, annonce qu’elle peut sucer aussi. Ni une ni deux, Gustave défait sa braguette et le jean sur les chevilles enfile la capote sur son érection rousse. La meuf, à quatre pattes sur sa gauche l’avale d’une gorgée. Gustave envoie la tête en arrière, les yeux fermés. Le bruit de bouche et de langue trouble le silence, le ronron des camions allumé pour le chauffage. Une odeur d’essence, de sperme et de vanille écœure jusqu’aux fauteuils ; et la Mexicaine avale. On peut dire ce qu’on veut, mais franchement, tu le sens quand c’est une professionnelle. La bite de Gustave plonge dans des endroits inexplorés. Des sensations de membranes, d’humidité, de douceur s’offrent à sa verge. Ses veines battent et puis, la fille fait un truc avec la langue, difficile à expliquer, ou les dents peut-être. Un petit mouvement qui apporte des frissons sur le bout du gland, terrible. Gustave ouvre les yeux pour reprendre son souffle. Comment tu t’appelles, lui échappe. Aussitôt, elle se redresse sur ses cuisses pliées, Frida elle répond en ne souriant pas.
C’est alors que Gustave discerne mieux les traits de sa partenaire. On aurait dit une morte avec un grain de beauté, un gros grain de beauté sous l’œil gauche. Des cernes bleus, des lèvres noires et une chevelure végétale. Des cheveux épais, odorant, dégringolent dans son dos minuscule et en dehors de ses seins de pierre noire, le reste de son corps, de l’os. Sans rien dire, elle enroule ses doigts fins et bagués autour du sexe en érection et branle son client en le fixant. Il suffoque. Un écran noir face à ses yeux, il ne voit plus les autres camions aux phares éteints et la respiration de Frida masque tous les autres bruits. Elle lui tourne la tête en tenant son menton. « Regarde-moi », elle ordonne. Son accent sexy, bandant, donne envie de crier. Gustave se risque à tenter un baiser sur la bouche, elle détourne le visage. Gustave essaie une main sur un sein, elle se cambre et les tend en avant, le désir monte sauvagement d’un cran. Stop, Gustave crie. Stop où je vais jouir. Sa main recouvre celle de Frida. Je veux ta chatte, et sans demander il la retourne sur la banquette, Frida tire un rideau qui cache la vue du parebrise. Le mec remonte la minijupe, attrape la fille par la taille et l’enfile sur sa bite. Ce n’est pas lui qui bouge, c’est elle l’objet. Et là, il se défoule. Balance tout ce qu’il retient de ses journées. Des injures, des mains, des gifles. Ses couilles claquent, la bite martèle. Frida gémit, hurle à vrai dire, elle n’a jamais connu de membre comme ça, aussi dur mon amour, aussi terrible. Il la croit et poursuit en fixant ce petit cul. Il voudrait y enfoncer son pouce, il ose et la femme hurle, encourage. Vas-y chéri, envoie tout ! et dans une phrase en espagnol, Gustave a fait allemand il comprend pas, il jouit et jouit et jouit trois fois. Et son sperme déchire le préservatif.
La dame attend quelques secondes, se dégage, s’assoit et ferme sa doudoune. Elle sort une cigarette de sa poche et crache la fumée en faisant « pioufff mon chéri, c’était le sport ». Gustave la regarde un peu con avec sa bite qui tombe. Elle doit dire ça à tout le monde. On fait quoi dans ces cas-là, la bise, il lui tend la main. Rentre bien garçon.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.