zoé-besmond-de-senneville

Il y a moi et il y a au-dessus de moi

Je voudrais vous parler de mes spectres ceux qui rôdent au-dessus de ma tête le mot spectre je n’aurais pas dit ça. Je pensais présences je pensais ancêtres, je pensais invisible, au-delà, fantômes. Entités. 

Petite déjà ma mère me racontait la finesse du passage de la vie à la mort la présence de ceux qui font le voyage et la possibilité de les voir, accueillir leur visite. 

Une fois ma mère avait cru voir le tracé de ma grand-mère sa main écrivant sur la page, sur mon cahier. Plus tard son visage, je la sentais présente ma mère me parlait beaucoup de ses cheveux devenus blancs à 30 ans, ses bijoux, ses châles, ses mots, son mythe, ses manières. Son parfum encore sur ses habits que je portais quelques fois. Son visage pourtant différent du mien, volais comme au-dessus de moi. 

Lorsque je démarre un « travail sur moi », on me parle de mes ancêtres je ne suis pas surprise ; leurs blessures, les stigmates qu’ils nous transmettent, notre ADN scellé. 

La vision que j’ai d’elle grandit encore, elle se creuse, se complète par des détails, des doutes, des recherches, questionnements.

Je me surprends à lui écrire parfois mon stylo laisse passer ses réponses je fabrique sa parole je l’entends. Je l’appelle. Je l’appelle par son nom, on dit Manoula. Je lui demande de me guider, je veux savoir, « Manoula, comment la vie se traverse, avec ce corps, avec ce corps-là. » 

Ses messages commencent par « ma chérie ».

Je réalise mon arbre généalogique. Je veux y inscrire tous mes ancêtres. Comprendre et voir, toutes les vies qui traversent, la lumière, les spectres de la lignée, encore au-dessus de moi. Je compile les dates les faits les visages les histoires je compile et rassemble je trace au-dessus de moi. Je retrace, je reforme les vies. J’essaye, j’essaye de comprendre. 

La vie. La famille. La mort. La naissance. Les corps. Le passage. L’invisible et les présences, au-dessus de moi.

 Je vais chez une dame qui « canalise » : nous allons / « parler » / à la « mémoire » / des ancêtres / « en moi ». 

Je choisis d’abord de lui parler, à Manoula, la première vision (j’avais trois ans lorsqu’elle est morte), la première ancêtre partie, la première conscience, la première présence-passage. Ce jour-là, elle n’est pas gentille.

Si j’ai conversé avec d’autres ancêtres qu’elle ? Oui. 

Vous parler de mes spectres.

J’en ai vu dans les couloirs, j’en ai vu dans les églises, j’en ai vu dans les airs, dans les parkings, dans les cimetières, dans les champs, dans ma chambre, dans les salles de bain, j’en ai vu dans les jardins, dans les piscines. 

Il y en avait qui étaient sur moi et certains dedans et certains au-dessus ils volaient je te jure, certains apparaissaient par vision, et d’autres encore, dans un nuage de fumée, presque indicibles.

Une fois c’était dans un manoir la nuit une femme avec une robe de chambre violette et elle tournait et elle tournait et elle tournait et je savais qu’elle était là, moi je le savais, mais j’étais couchée sur le ventre tétanisée, je la voyais même les yeux fermés, je la voyais même tout contre mon matelas, recroquevillée, j’aurais voulu m’enfoncer dedans. J’avais peur et c’était surement bête d’avoir si peur, de l’au-delà.

Sur mon visage aussi, je les vois passer, pour la plupart ce sont des femmes, leur visage que je reconnais, se cristallise sur le mien. C’est une expérience qui me plait je me retrouve dans leur peau (du visage) je me retrouve dans leur trait dans leurs sourcils dans leurs lunettes dans leurs cheveux je me retrouve dans leur façon de regarder le monde et le monde me regarde aussi.

Je les invoque alors je leur écris, je les consigne, je les liste, je trace le chemin de moi à chacune, j’essaye de me l’expliquer par A+B, celle-là oui cet air de ressemblance et celle-ci alors, quel honneur ! je suis elle.

Je suis elle.

JE SUIS ELLE 

Elles. ELLES.

Je suis elles et je vole avec 

leur morceau de quelque chose, en moi

je suis comme un poème, 

un cadavre exquis de toutes les 

elles, en moi.


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