Après plusieurs courts-métrages qui posent la question du souvenir et de la terre, Minh Quý Truong réalise Viêt and Nam, un film qui raconte la recherche d’un père disparu pendant la Guerre du Vietnam et le désir d’exil.
Deux jeunes homosexuels, Nam (Thanh Hai Pham) et Viêt (Duy Bao Dinh Dao), s’aiment et se racontent leurs rêves dans un endroit clos et sombre parsemé d’étoiles. L’un suspend sa gourde contre la paroi, elle devient une lune au-dessus des visages. La caméra s’éloigne et montre l’envers du décor : la mine. Le film suit le quotidien de ces mineurs, ainsi que celui de la mère de Nam dont le mari a disparu pendant la guerre. A-t-il refait sa vie ? Est-il enterré dans la forêt ? D’autres protagonistes conservent les stigmates physiques et psychiques de la guerre, comme autant de questions sans réponses. Ce qui leur reste, c’est un goût pour le rêve et la superstition que le cinéaste suggère en filmant des espaces souterrains et des aléas climatiques, métaphores renvoyant à l’exploration de l’âme humaine.
Des sens et des rêves
Tourné en 16mm avec des acteurs non professionnels, Viêt and Nam s’impose comme un objet de cinéma audacieux et plastique. Après plusieurs documentaires fictifs, Truong signe un long-métrage moins confidentiel, nommé dans la section Un certain regard du Festival de Cannes. Pour raconter les fantômes de son pays d’origine, le cinéaste – passé par Le Fresnoy – choisit une forme particulièrement travaillée. Les deux mineurs, qui sont davantage des silhouettes que des personnages identifiés, portent sur eux le poids du passé et la rigidité d’un travail précaire. La mère, elle, vend du charbon. Elle travaille sur son lieu de vie, sombre et crasse. Mais elle possède, au-dessus, une petite chambre où l’on s’applique toujours à déployer une moustiquaire. Selon elle, ça l’aide à mieux rêver. Quand ils évoquent la pauvreté, c’est pour dire qu’elle n’est pas une honte ; la richesse, pour montrer qu’une tante a oublié d’où elle venait. Dans ce pays, ce qui compte et ce qui blesse, ce sont les martyrs et les corps enterrés. Les considérations matérielles paraissent dérisoires face à l’urgence de la mémoire. La vie diurne est évoquée tout au long du film comme un chemin à parcourir, parfois comme une énigme à déchiffrer. Chaque protagoniste prend le rêve très au sérieux. Une séquence montre plusieurs personnages attablés autour de la mère qui tente de se rappeler en esquissant la forme d’un arbre et de son mari. Les rêves donneraient des indices sur le réel. Le film adopte donc une dimension psychanalytique dont il ne se départit jamais. Et pour la forme, Truong travaille le film comme une matière organique. La poussière parsème la pellicule, le charbon enrobe les corps, l’eau s’immisce dans la majeure partie des plans. Ces textures filmées scintillent apportant charme et magie à ces environnements anxiogènes.
Le film adopte une dimension psychanalytique dont il ne se départit jamais.
Poésie suffocante
Les mineurs descendent à 1000 mètres sous terre. On s’étonne de ne pas voir d’appréhension sur les visages. Sous terre, il y a l’obscurité et la matière propices à une introspection, sans doute celle des secrets et par extension de soi-même. Truong raconte la quête douce de l’inconscient, univers merveilleux qu’on se plairait à parcourir. Car la descente abyssale est le meilleur moyen d’accéder à la vérité. À l’opposé de ces endroits clos et exigus, il y a les paysages qui sont des tableaux pleins de quiétude. Même si les personnages cherchent à se souvenir, se confrontant à leur passé, ils demeurent calmes et sages, à l’image du vétéran qui s’excuse après s’être mis en colère, unique moment d’éclat émotionnel du film. Filmer le paysage, après l’asphyxie des mines, c’est montrer les étendues du pays natal, reprendre son souffle. Le cinéaste a quitté le Vietnam pour s’installer en France. Dans son film précédent, The Tree House (2019), son alter ego s’installe sur Mars et tente de se souvenir de l’histoire de son pays. On ne peut pas parler de déni chez Truong, il s’agit plutôt d’une mise à distance pour affronter le passé. Le choix des deux personnages est comme une dualité identitaire – ils se ressemblent, forment une unité – et la représentation du pays lui-même. Viêt et Nam, comme deux pôles : Viêt désigne étymologiquement ceux qui vivaient dans le nord du pays, Nam, ceux du sud. Le sort étonnant de ce couple symbolise à lui seul la question individuelle et collective du Vietnam. Puis il y a le désir de migration, chercher à échapper à soi-même et à son histoire. Nam tente de partir par la mer quand Viêt le rattrape. Sur l’eau, enfermés dans un conteneur, ils quittent le pays. On doute que la tentative fonctionne et ils semblent pris au piège à l’intérieur d’une boucle, peut-être celle du temps.
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L’accueil de l’inconscient est partout dans le film comme un regard nécessaire sur ce qui nous entoure. Les personnages cherchent des réponses, creusent, littéralement. Le monde pèse sur les corps, la matière est là sans arrêt qui les couvre : marques, sueur, maquillage, vernis. Quand l’un saigne après un rapport sexuel, il trace un trait sur son ventre avant que son partenaire ne vienne lécher le sang. Le sensuel et le morbide se mêlent pour révéler les traces d’une histoire commune, d’une existence vouée à la disparition.
- Viêt and Nam, un film de Minh Quý Truong, avec Thanh Hai Pham et Duy Bao Dinh Dao, en salles le 25 septembre.
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