Adapté du roman de Jérôme Ferrari paru en 2018, À son image retrace le destin d’Antonia, une jeune Corse déchirée entre sa passion pour la photographie et sa liaison avec un militant indépendantiste. Visiblement peu inspiré par l’histoire qu’il raconte, Thierry de Peretti pèche par didactisme.
C’est encore la Corse, c’est encore les années 1990, et c’est encore l’indépendantisme, le nationalisme corse, les attentats. Reprenant les thèmes qu’il avait explorés dans Une vie violente (2017), Thierry de Peretti tire à nouveau les fils du thriller politique sur fond d’une romance impossible. Au milieu de ces garçons très garçons, qui forcent leur accent, la frêle Antonia ne raconte pas grand-chose. Elle est photographe, d’accord ; elle est tombée amoureuse d’un gangster, elle l’attend à chacune de ses sorties de prison ; ici elle mène une vie plan-plan de reporter-photo dans un journal local ; là elle part couvrir un conflit à l’international. Que nous importe ? Son rôle principal paraît accessoire, aux lisières de ces affaires d’hommes qui seules semblent trouver grâce aux yeux du réalisateur.
Adapté du roman
On peut reconnaître un mérite au film de Peretti : il donne envie de lire le roman qu’il adapte. Car à voir cet objet cinématographique, on ne peut s’empêcher de faire la comparaison même (et peut-être surtout) si l’on n’a pas lu le livre en question. Car tout, dans À son image, sent l’adaptation. Le grand nombre des personnages d’abord, qui tous ont des choses à dire, une histoire propre à faire valoir, une identité qu’on devine mieux construite dans les pages qu’au gré de leurs rares apparitions dans le film. Le grand nombre des lieux, ensuite, entre lesquels le montage saute par bonds frénétiques, sans presque jamais nous faire revenir deux fois au même endroit – et quelle dramaturgie bâtir, dans ces lieux de passage où rien ne nous attache ? Le grand espace de temps, enfin, qui s’écoule entre le début et la fin du film, et qui nous fait parcourir assez d’années pour nous égarer et nous faire perdre l’intérêt que nous aurions pu trouver aux personnages. De Peretti nous fait passer en coup de vent des idylles de jeunesse à l’engagement politique, de la vie de village à la rédaction de Corse-Matin, sans jamais nous faire entrer dans la vie de ces jeunes Corses tapageurs qu’on est condamnés à ne jamais comprendre. Dans ce bizarre dépiautage du roman, le titre même est perdu. La belle formule de Jérôme Ferrari, « À son image », reprise joliment tronquée d’un passage de la Genèse, fonctionnait parce que la figure du prêtre tenait le rôle central. Thierry de Peretti s’est certes attribué ce rôle, dans la distribution, mais c’était pour n’en rien faire : on ne croit pas une seconde à ce curé don camillesque, réduit lui aussi à un rôle plus que tertiaire. Il apaise, se débat et gesticule. Le point de vue qui donne au livre de Ferrari sa tonalité religieuse est abandonné. L’effacement forcé de la religion réduit donc le titre à une allusion au seul véritable thème du film : la photographie.
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Roman-photo
Ce film est un film sur la photographie. On ne peut guère faire plus clair que le didactisme éléphantesque du réalisateur. Antonia aime la photographie depuis toute petite, lorsque son oncle et parrain (le curé en question) lui a offert un appareil photo. Elle prend des photographies sans cesse, de tout ce qui l’entoure. Elle développe ses photos. Bientôt elle en fait son métier, reporter. La première scène du film la représente en train de faire un shooting de mariage sur une plage corse. Plus tard, un interminable plan-séquence la montre prenant sous tous les angles son petit-ami en photo, assis sur le canapé puis téléphonant, le combiné filaire à la main. La voix off n’est pas en reste, qui raconte complaisamment la passion d’Antonia, et le film croit bon d’insérer des clichés pris directement sur le tournage, par l’actrice elle-même ou par la photographe du plateau. Quelle tristesse qu’un film qui veut être un film sur et ne cesse de donner des gages, de justifier qu’il a bien traité son sujet, qui croit avoir fait tout ce qu’il devait faire quand il a évoqué la photo de Ron Haviv à Sarajevo, et la Chambre claire de Roland Barthes.
Les débats sur l’image, la question de la représentation, tout est effleuré du dehors, tout est évincé aussitôt qu’évoqué.
C’est faire le minimum, ou plutôt c’est comme ne rien faire. Que voyons-nous vraiment de la photographie dans À son image ? Les débats sur l’image, la question de la représentation, tout est effleuré du dehors, tout est évincé aussitôt qu’évoqué. Des photos d’Antonia nous ne verrons jamais rien, de ce qui la distingue comme photographe pas un mot, ni sur son style ni sur ses sujets. La photographie est traitée comme un vague gimmick qui fait avancer le peu d’intrigue que propose le film. La réflexion même sur la photographie et son rapport à la mort, la photographie comme ce qui « ne suspend pas le temps mais le fixe », pour reprendre les mots de Mathieu Riboulet qui inspirent le roman de Jérôme Ferrari, jamais nous n’en aurons autre chose que les gros traits, comme un vague souvenir textuel. Thierry de Peretti est déjà loin, cavalant avec ses maquisards à gros bras qui plastronnent dans un accent corse d’opérette, sûrs du sérieux de leur sujet.
- À son image, un film de Thierry de Peretti, avec Clara-Maria Laredo. En salles le 4 septembre 2024.
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