Jean-Pierre Montal : Ascension vers un bonheur impossible

RENTRÉE LITTÉRAIRE. Avec La Face nord, Jean-Pierre Montal nous raconte un amour contrarié entre deux personnages d’âges différents. La veine, qui était déjà celle de son roman Leur Chamade, s’approfondit grâce à ce nouvel ouvrage où le présent et le passé s’entremêlent dans une mélancolie en demi-teinte.

Un homme se rend au cinéma pour aller voir Elle et lui de Leo McCarey. Il assiste à toutes les projections possibles depuis qu’il a découvert ce film en 2004. Ce fut une révélation aussi évidente, aussi inexplicable, qu’une passion amoureuse. Il y rencontre un jour, à Paris, une femme. Comme pour lui, ce film semble quelque chose de plus intime, de plus profond, qu’un simple film. Alors ils discutent de l’œuvre de Leo McCarey. Se rapprochent progressivement, à chaque rendez-vous. L’homme a quarante-huit ans, et la femme en a soixante-douze. Une histoire d’amour complexe va pourtant se nouer entre eux, comme à travers deux points du temps. L’homme va peu à peu découvrir une partie du passé de celle dont il s’est épris. Des lieux vont se superposer à d’autres lieux. Des histoires à d’autres histoires. Il semble que tout dans ce livre n’est que la reproduction de scènes qui se sont déjà produites dans le passé et qui ne peuvent que se répéter à travers de nouveaux visages.

Une mélancolie du soir, lorsqu’on repense à ce que la vie aurait pu être. Nous sommes dans un Fitzgerald de la vie ordinaire.

La trame de La Face nord se résume au fond à peu de choses. On revient à cette idée flaubertienne, d’un roman sur « rien ». Mais c’est dans ce rien, cet infiniment ténu, que l’auteur va déployer toutes les possibilités que lui offre l’art romanesque. D’un point de vue à la première personne, on bascule à une narration à la troisième personne. Puis on plonge dans le passé d’un des personnages par la lecture de son récit autobiographique par un autre personnage, ce qui offre un roman dans le roman. Ces changements d’angles ne sont pourtant pas anodins. Chacun permet d’explorer le sujet par une face différente. De raconter des choses qui ne pourraient pas se dévoiler autrement. Une certaine unité de ton, cultivant une distance avec les événements, donne sa cohérence à l’ouvrage de sorte que le lecteur n’est jamais choqué par les variations de personnes, de lieux, de temps ou par les ellipses qui font avancer le récit. Au contraire, l’artifice participe au plaisir d’une lecture où l’émotion est tout en retenue. 

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La langue de Jean-Pierre Montal est une langue du demi-mot et de la litote. Nulle emphase. Les personnages ne perdent jamais leurs nerfs. On ne s’égare pas davantage en de longues introspections ou analyses psychologiques. Le livre se tient plutôt au bord du mélo. Une mélancolie du soir, lorsqu’on repense à ce que la vie aurait pu être. Nous sommes dans un Fitzgerald de la vie ordinaire. Un Fitzgerald en moins tragique. Un style à la « Most of the time » de Bob Dylan, chanson citée par Montal en exergue d’une des parties de son précédent roman Leur Chamade. On comprend les sentiments parfois par un détail que le personnage remarque, des gestes, des conversations qui deviennent plus intimes. Il y a toujours un humour un peu triste. On pourrait aussi parler d’une langue du hors champ. Montal montre afin de mieux suggérer. Il aspire à « un vrai réalisme avec des coins floutés », pour reprendre des termes que l’auteur a employés, il y a quelques années, lors d’un entretien qu’il m’avait accordé. Chaque élément y est bien dosé pour donner un roman fluide, sans préciosité ni pathos, mais sans sécheresse non plus.

  • Jean-Pierre Montal, La Face Nord, Éditions Séguier, 2024.
  • Photo © François Grivelet

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