Elle danse

FICTION. Dans ce récit poétique, incarné et délicat, l’écrivaine Zoé Besmond de Senneville revient sur son cheminement intérieur et interroge l’éternelle quête de sens, et ses multiples formulations contemporaines.  

Elle danse. Elle danse sur son arbre généalogique sur ses grands mères. Elle danse. Elle est nue. Elle danse. Elle libère. Elle sa peau nue et en dessous les lignées tracées de ses aïeules. Elle se tient fière. Elle se tient debout elle est ancrée dans les racines. Dessous elle à ses pieds. Elle est incandescente. Elle est fragile. Elle est elle. Elle se tient. Là.

Elle danse. Elle voudrait ne jamais arrêter de danser. Elle a appris depuis le début de son chemin, sa marche, son pas. Comment. Comment faire pour avancer à l’intérieur d’elle. Elle a cherché elle en a vu des psy-chologue -analyste et même -iatre et d’autres encore qui font des choses un peu plus *magiques*.

Elle danse. Elle danse encore l’énergie à l’intérieur d’elle, elle se croit revenue au début au début de sa vie ou de son arbre généa-logique, elle se confond avec toutes les elles, en elle.

Elle danse. Elle danse encore. 

Au début elle se sentait fragile dans sa peau son corps elle se sentait petite trop petite en elle, elle avait une parole comme rentrée éteinte elle avait l’impression de ne pas tout à fait s’habiter elle son corps à elle ne lui appartenait pas. Elle n’avait pas l’impression de le sentir. Elle a voulu plonger.

Elle a voulu questionner. Elle a voulu creuser et pleurer et hurler et dire. Elle voulait la liberté. La liberté dedans et dehors la liberté de dire et de se dénuder, la liberté dans le regard, la parole, la peau, la façon de se mouvoir, pouvoir aimer et se laisser aimer.

Elle a arrêté de danser. Elle est essoufflée ses jambes tremblent, ses yeux brillants de joie, de, d’avoir osé. Ses jambes fragiles. Son ventre exposé aux regards. Elle. S’en. Fout. 

Elle reprend elle danse elle danse encore ce sont ses

Grands mères qui lui —elle pense qui lui donnent la note, le rythme, la foi, le flow.

Quand elle s’est mise à chercher elle a aimé. Elle a touché quelque chose dedans elle s’est mise à enquêter sur l’arbre sur le grand arbre au dessus en dessous d’elle elle disait les dates c’est quelque chose  sur lequel s’appuyer, elle a inscrit noms et jours mois années sur la grande feuille de papier elle a tracé des lignes et des traits pour se sentir réunifiée.

Elle est un territoire, un tremblement, elle est une terre sèche et moite, elle est une terre pleine de trésors elle est une terre en jachère qui dort, elle est un pays, un continent, elle est traversée par le temps.

Sa danse. Son visage. Ses visages. Ses contrées. Son visage miroir son visage plein d’elles, de tous les temps, les époques, les robes, les tissus, les mariages, les fausses couches, les amants, les bijoux, les amours, les maisons, les histoires, les silences, les non-dits, les espoirs. Elle est le temps qui passe sur son visage, kaleodoscopiquement.

Sa danse s’accélère et aimante l’atmosphère on la croit voler on la croit galoper elle se transforme elle mue elle caresse l’espace elle raconte elle fait naître les images le temps se suspend. Sa danse s’accélère encore et encore ses pieds tambourinent le temps ne passe plus du tout il tourbillonne, elle tourbillonne avec ses grands-mères elle tournoie tant et tant qu’elle disparait. 

Dans la salle les *soeurs* assises là se regardent la grande feuille de papier étalée immense, et maintenant vide d’elle, silencieuse, devenue hiéroglyphe, parchemin illisible.


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