Quelle femme n’a jamais eu la crainte d’une visite chez le gynéco ? Peur des phrases comme : « Écartez les cuisses », « Les pieds bien dans les étriers », « Ça risque de faire un peu mal, j’avance le spéculum » ? Dans un texte qui dit tout du quotidien des femmes, Manon Galinha choisit d’affronter ses démons et de se confronter à l’angoisse de la visite médicale.
Avancez le bassin jusqu’au bord encore les pieds dans les étriers voilà écartez les cuisses un peu plus un peu plus bien elle allume une petite lampe blanche la tourne vers moi on y va je vais commencer par mettre le spéculum ne refermez pas les cuisses c’est une sensation qu’il faut accepter laisser passer ça ne sera pas long allez je vais désinfecter elle sort une paire de ciseaux avec une pince au bout et dans la pince une compresse rouge de bétadine c’est froid maintenant je vais mesurer votre utérus elle déchire un emballage en sort un tube on dirait une paille je n’ai pas le temps de voir elle pourrait montrer quand même oh putain j’ai dit oh putain elle a rentré le tube coup de dague à l’intérieur j’attrape sa main par réflexe je me redresse je la serre c’était quoi ça elle a dû me transpercer c’est pas possible elle sort le tube ne bougez pas je dis une minute pardon une minute il faut que je respire j’ai arrêté je crois que j’ai arrêté de respirer il faut que je respire je prends une inspiration puis deux puis trois je respire mais la douleur est toujours là douleur viscérale lâchez ma main je vais en avoir besoin j’essaye je respire profondément faire entrer l’air par le nez se concentrer sur autre chose narine gauche narine droite gonfler les poumons le ventre respiration factice comment veux-tu que je respire inspiration profonde expiration profonde penser à autre chose que la douleur et pendant ce temps-là un autre tube d’un autre emballage allez ça va durer quelques secondes seulement je lâche sa main je respire prends sur toi c’est pas possible putain putain putain arrêtez docteur pitié arrêtez je vous en supplie j’ai dans le corps la mémoire de tous nos corps poignardés je les sens les cintres les aiguilles à tricoter le coup vif d’acier au fond du ventre à même la chair arrêtez docteur pitié arrêtez je vous en supplie le docteur n’arrête pas ne bougez pas si vous bougez je vais vous perforer l’utérus si je bouge elle va me perforer l’utérus alors je ne bouge pas je serre les dents maintenir la douleur dans la mâchoire j’ai mal je n’ai jamais eu aussi mal est-ce qu’on a toutes mal comme ça ou est-ce que c’est juste moi j’aurais dû prendre de l’opium du xanax des opiacés de la morphine elle retire tout de moi le tube desserre le spéculum l’acier froid me pince l’intérieur tire mes entrailles ça y est c’est fini elle éteint la petite lampe blanche va à son bureau j’ai chaud les oreilles qui sifflent la vision trouble oh non pas ça elle avait prévenu un malaise ça peut arriver mais c’est rare elle me regarde demande vous partez je réponds en vacances elle dit non vous partez c’était une affirmation un constat vous partez elle me demande si je suis venue seule si je peux appeler quelqu’un pour venir me chercher je réponds poliment c’est ridicule elle vient de me transpercer l’intérieur et je réponds poliment que mon ami est en bas au café il m’attend est-ce que vous voulez bien me donner mon téléphone il est dans mon sac s’il vous plaît chéri peux-tu monter sonner à l’interphone j’entends sa voix paniquée enfin je la devine impossible de parler de dire ça s’est bien passé ça ne s’est pas bien passé je raccroche trou noir des bruits sourds au loin une porte qui s’ouvre qu’est-ce qui s’est passé elle a eu un petit malaise mais ça va vous êtes venus en métro ça va être compliqué pour le retour vous pouvez appeler un taxi elle ne peut pas rester j’attends ma prochaine consultation je peux appeler avec votre téléphone vous avez un numéro de taxi je ne sais pas où je suis je ne sens plus la table sous mon dos les étriers au bout de mes pieds l’air que je respire seulement je suis pressée vous comprenez j’attends ma prochaine consultation vous pouvez payer s’il vous plaît elle me remet ma culotte je crois que c’est elle qui me remet ma culotte après c’est lui le jean les chaussettes les chaussures c’est lui tu veux mettre ton pull ton manteau non j’ai chaud je ne veux pas j’ai chaud j’étouffe il comprend elle me donne un récipient en carton au cas où j’ai des nausées je ne sais pas si j’ai des nausées je sais que je veux sortir de mon corps être partout sauf dedans mais il faut se lever passer la porte il me tient on descend les marches il me tient je ne sais pas comment je descends les marches ça tourne j’ai chaud j’ai mal le taxi est là il nous attend je souris je dois être blanche verte de toutes les couleurs il va nous refuser on s’assoit il n’a rien dit peut-être bonjour je crois qu’il était aimable qu’il a compris la lumière s’éteint encore le noir partout je tombe sur ses genoux il a sa main dans mes cheveux j’ai mal les larmes sortent toutes seules de mes yeux je crois qu’il me parle ça tourne on est où là boulevard de Magenta encore un peu de courage allez ça me transperce dedans des coups d’épée en continu bruits de circulation de klaxons au loin on est arrivés sortir de la voiture refaire un pas devant l’autre passer une porte puis deux puis celle de l’appartement tout est flou sauf la douleur ma chair à vif écartelée de l’intérieur il me dit je vais à la pharmacie prendre je n’entends plus je ne sais pas ce qu’il va prendre à la pharmacie j’attends qu’il parte je ne veux pas qu’il m’entende vomir d’impuissance sortir la douleur de moi du bas de mon ventre à ma gorge l’intérieur brûlé je tire la chasse deux fois parce qu’il en reste au fond de la cuvette je me lave les mains mécaniquement je me rince la bouche puis je tombe dans le lit.
Les inspirations de Manon Galinha :
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