Prenez un classique du théâtre shakespearien et une relation fusionnelle entre un père et sa fille et vous obtenez le dernier roman d’Eric Pessan, Ma tempête. C’est peu dire qu’en écrivant Ma tempête, l’écrivain questionne le lecteur sur la portée d’une œuvre d’art et de sa transmission. Non seulement, il nous plonge dans une œuvre littéraire anglaise conséquente du XVIe siècle – The Tempest, William Shakespeare écrite en 1611 – mais l’auteur ne s’arrête pas là et réhabilite ce classique en une douce histoire contée par un père à sa fille tout en faisant un état des lieux du statut d’artiste aujourd’hui.
Une pièce politique ? Ma tempête est un véritable plaidoyer pour l’art théâtral et les intermittents. Paru aux éditions Aux forges de Vulcain le 25 août dernier, Pessan propose une mise en abyme singulière. Monté en cinq actes comme la pièce originelle de Shakespeare, le roman montre le pouvoir de l’imagination poétique qui tend à devenir politique. Il fait le lien entre ce monde culturel difficile d’accès et la quête de créativité artistique du personnage principal. “Après tout, ils considèrent que l’art est comme le reste, livré à la libre concurrence : soit on est rentable, soit on fait faillite et on disparaît.” (Acte II). Une déclaration d’amour à l’œuvre d’un des plus grands dramaturges du XVIe siècle, William Shakespeare.
David est metteur en scène. Un homme simple, marié à Anne, une professeur de français qui enseigne au collège. Tous deux parents d’une petite fille Miranda, âgée d’à peine deux ans et demi. Dès le lever de rideau, l’auteur fixe la scène. Essuyant un énième refus pour la représentation de sa pièce, David est victime d’une crise existentielle. La crèche de Miranda faisant grève, le père y voit un espoir. Aujourd’hui, il gardera sa fille et lui jouera sa pièce, La tempête, en dévoilant au fil des pages, une seconde grille de lecture.
Une mise en abyme
Avec une écriture simple et accessible, le lecteur devient spectateur de la complicité entre un père et sa fille.
Avec une écriture simple et accessible, le lecteur devient spectateur de la complicité entre un père et sa fille. Avec des descriptions aussi précises que des didascalies, tout semble écrit pour nous immerger dans cet appartement à l’abri de la tempête. Pessan va jusqu’à créer une mise en abyme entre les deux temporalités. Par de nombreuses analogies, l’auteur joue avec nous pour nous immerger le plus possible dans la tempête. Là où certains se seraient contentés d’un amour banal de David pour Shakespeare, Pessan va plus loin en créant des ponts entre les personnages. Il va jusqu’à jouer des homonymes, Anne pour Anne Hathaway, femme de William Shakespeare, Miranda comme la fille dans la pièce… La relation entre David et son frère est même théâtralisée par la pièce. Si certains pourraient qualifier ces relations de manichéennes, Pessan réussit avec brio à vulgariser l’œuvre de Shakespeare et à la rendre accessible et actuelle.
Le théâtre, un milieu en danger ?
Au-delà de la présentation d’un chef-d’œuvre de la littérature anglaise, Ma tempête est aussi un roman qui dénonce les rouages du monde du théâtre. Eric Pessan ne s’arrête pas à une simple mise en abyme entre cette Angleterre du XVIe siècle et ce couple de parents moderne, il fait le choix d’informer son lecteur. De l’évolution du féminisme dans le théâtre au statut complexe de l’intermittence, l’auteur signe un roman politique. “Dans sa famille, on est de droite ou de centre économique libéral qui refuse de s’avouer de droite, c’est-à-dire que l’on ne s’attaquera pas frontalement à la culture, on n’est pas fasciste tout de même, on respecte le cinéma et le théâtre, la danse et la peinture, l’opéra et la poésie, la littérature et la musique à condition que les artistes demeurent à leur juste place et que les impôts ne servent pas à financer un art hors-sol, non rentable, non apte à susciter des recettes? (…) Il est de plus en plus difficile de faire entendre qu’il existe des critères qui ne sont pas économiques.” (Acte II).
Pas besoin d’être un fan de la dramaturgie anglaise. Réticente au théâtre manichéen et caricatural, j’étais d’abord sceptique. Pourtant, Pessan arrive à convaincre avec un rire de Miranda, un geste tendre de David, le regard indéchiffrable d’Anne ou encore la banalité de la vie du couple… Une simplicité qui parvient à nous émouvoir. Une relation rêvée entre un père et sa fille. Une complicité touchante. En jouant La tempête à sa fille, David nous emmène encore plus loin. Qu’en est-il de la transmission ? A quoi sert l’art ? À quoi sert le métier d’artiste ? Que laissera-t-il à sa fille ? L’art est-il voué à disparaître ? C’est avec ces questions qu’Eric Pessan dévoile une tout autre grille de lecture.
“Ils font mine d’avoir oublié que la culture n’est pas un simple bien de consommation.” (Acte III).
Avec le personnage de David, complètement désespéré par l’échec de la pièce, Ma tempête nous renvoie quelques années en arrière lorsque le monde de la culture avait été contraint de baisser le rideau. Une crise sanitaire qui a modifié notre rapport à ce milieu. Pessan nous fait une piqûre de rappel : “L’art nous console de tout” (Epilogue).
Ma tempête, Eric Pessan, Aux forges de Vulcain, 2023
Copyright Philippe Matsas
Myrtille Mayaud-Dequero
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