Maison d’édition basée à Aix-en-Provence et dirigée par Philippe Hauer, Vanloo touche à tout et explore les possibilités du langage avec une finesse réjouissante. Plongée dans une collection bien particulière de la maison : #oneshot, en compagnie des mots de son éditeur.
La collection #oneshot, c’est une série de livres en petit format, qui se passent de main en main, dans un panel coloré (ça, c’est pour le plaisir des yeux), et dans une effusion hétérogène très riche : percées poétiques, narrations serrées, explorations formelles, tout y passe pour notre plus grand plaisir. 24 volumes au compteur, pour la collection, avec le petit dernier qui paraît début mars : en, de Christophe Boursault, un livre singulier qui donne à voir plusieurs dessins de l’auteur lui-même, d’une beauté obscure et saisissante. Depuis 2017, la collection poursuit sa route, se redessine, explore de nouveaux horizons. Vive et vivace, elle touche à tout.
#Oneshot, des mots de l’éditeur lui-même, « c’est l’envie de créer des petits livres, un petit format, facile à transporter, à lire puis faire passer ou jeter ! pas trop cher. Une façon de lire, pas comme quelque chose d’exceptionnel, mais un truc du quotidien, “tiens, j’ai ça dans la poche”… (comme parfois on lit un ticket de courses parce qu’on n’a rien à se mettre sous l’œil. Et puis on lit ça, de la poésie, comme on la fait maintenant qui parle de façon assez directe ; qui pue l’intelligence ; qui parle d’aujourd’hui en sachant très bien à quel moment de la poésie elle se situe. C’est de l’érudition de contrebande. »
Hasard de l’œil, sursaut du mot, jouissance de la contrebande, oui, d’un livre qu’on se glisserait sous le manteau sans risque, qu’on ferait jongler au coin d’une ruelle pour déclamer trois phrases qui ancrent, tapent, marquent.
Lisez plutôt l’implacable et impeccable Suite logique d’Hugo Pernet :
« Maintenant, je ne veux plus rien avoir à faire avec la politique ou la vie privée. L’amour est une chose publique et il n’y a rien que vous ne sachiez déjà à propos de la poésie. J’ai mis dans ce discours toute l’hypocrisie et la mauvaise foi dont je suis capable, pour que vous ne doutiez plus de ma médiocrité. C’est très important pour moi : soit la littérature est trop bonne, soit elle est trop mauvaise. Il faut mettre fin à ces phrases. Il faut mettre le feu à ces phrases, à partir de la fin. »
Avis aux amateurs, c’est parfois beau comme un #oneshot. Comme Guillaume Dorvillé, dans Mettre la gomme
« Je voudrais sentir tes
yeux sur moi comme
un animal qu’on
vient de tirer »
Ou Grégoire Damon dans Rouler des pelles : « Et derrière son derrière chacun est aimanté par sa propre lumière, chaque langue dans sa bouche, sûre de son bon droit. »
Et tous les autres encore.
Reprenant les mots d’Emmanuel Hocquard, l’éditeur des éditions Van Loo associe la dynamique de cette collection particulière à la poésie américain : « Quand je parle de la traduction en français de poésie américaine d’aujourd’hui comme d’une contribution à la littérature française d’aujourd’hui, quelle est à mes yeux la nature de cette contribution ? Je suis tenté de répondre : une déchirure. Ou un trou. Ou encore une “tache blanche”. ou : 8 — Politique comment ? Comme le roman noir américain est politique. Mais pas politique comme le néo-polar français. (Par parenthèse, il serait intéressant de chercher à comprendre pourquoi les traductions françaises de la plupart des polars américains sonnent si faux.) Politique comme Gertrude Stein, les Objectivistes, Jackson Mac Low, les poètes L=A=N=G=U=A=G=E et tant d’autres, pas comme Kenneth Fearing ou Ezra Pound ou les Beatniks. 9 — Politique. Cela n’implique pas que les poètes américains d’aujourd’hui soient plus que d’autres engagés dans le combat des “professionnels de la profession” politique. Cela signifie simplement qu’ils placent la réflexion politique, radicalement, sur le terrain du langage. »
Et ces mots d’Hocquart lourds de sens en ce qu’ils disent l’évidence d’un discours qui se refuse au confort mais qui, à l’inverse, cherche la faille où trembler, le lieu de la lecture et de la rencontre où se tenir dans l’incertitude et la jouissance du texte. Ce pour quoi les #oneshot se lisent comme des sursauts ou des coups de poing – non pas que chaque texte désigne une violence où sature l’indicible, mais chacun a sa manière nous invite à une parole précieuse qui élargit l’espace du langage, et d’une parole qui n’assure rien, crépitement de l’écriture qui se joue. Et surtout, une maison avec une position claire – ce qui n’est pas un luxe dans nos contemporains flous – sur son travail et son devenir : « une démarche éditoriale permettant encore de soutenir une parole, pas seulement un produit ». Banalité du mal, et bonheur de perce-neiges ; #oneshort dans toutes les poches.