La lecture à haute voix est un exercice difficile. Ni tout à fait théâtre ni tout à fait lecture du soir, il en faut du talent pour éviter la lecture plate ou l’adaptation convenue. Or, du talent, Ophélie Lehmann et Clément Séclin n’en manquent pas et nous le montrent avec brio et sans fioritures.
Métempsycose sonore
Une lecture-convocation des âmes de Camille Claudel, Marilyn Monroe, Marina Tsvetaïeva, Emily Dickinson et Frida Kahlo par la talentueuse Ophélie Lehmann.
Quand on se faufile dans la salle la Bohème, on est accueillis sur le plateau vide par les deux artistes comme au seuil d’une cérémonie de spiritisme, le charlatanisme en moins. Il s’agit de convoquer les âmes de Camille Claudel, Marilyn Monroe, Marina Tsvetaïeva, Emily Dickinson et Frida Kahlo, en lisant leurs lettres pleine de doutes, de souffrances mais aussi d’éclats de joie comme de brillants rayons de lune dans la nuit très noire du chagrin de ces créatrices abandonnées. Ici, pas de costumes ou de photos d’archives. Ni même d’éléments de décor. Seuls comptent les modulations de la voix, extraordinairement polyphonique, d’Ophélie Lehman, le jeu de ses mains autour de son pupitre, le tressaillement de son corps sur la musique de Clément Séclin. Entre chaque personnage, il faut s’ébrouer, marcher un peu pour se défaire de l’artiste précédente et en convoquer une autre dont on devine l’arrivée imminente par la torsion des mains, l’éclat balbutiant et particulier d’une pupille. Alors, on regarde, fascinés, cette métempsycose sonore. C’est qu’Ophélie Lehman, en variant sa tessiture et son élocution les incarne au sens théâtral et spirituel du terme. Si des images nous viennent en surimpression en l’écoutant, notamment celles d’Adjani ou Ana de Armas, celles-ci s’estompent rapidement, tant l’interprétation de la comédienne reste très personnelle et sincère. L’interprétation des lettres est précise. On la devine extrêmement fouillée et millimétrée, tout en étant guidée par une sorte d’état de transe spontanée.
Musique des mots, musique des âmes
La musique de Clément Séclin recrée le paysage sonore de chaque femme lue au cours de la soirée et constitue comme une chambre d’écho de la lecture.
Pour susciter cette transe, les mots incandescents de ces femmes et la musique de Clément Séclin qui ne se borne pas à être une musique d’accompagnement illustrative mais recrée réellement le paysage sonore de chaque femme lue au cours de la soirée qui constitue comme une chambre d’écho de la lecture. Ainsi de la musique presque tristement enfantine de Marilyn Monroe à l’asile ou du rock échevelé à la guitare électrique de Frida Kahlo adressant une lettre vengeresse à Diego Rivera, ou encore du violon sautillant de Marina Tsevetaïa.
Traversées
On ressort de cette heure un peu sonnés, comme si l’on retrouvait la lumière après avoir été initié à un culte à mystères antique, une cérémonie où sont célébrées les voix uniques des femmes et où l’on se prend à rêver d’adelphité entre artistes en tous genres, tant la douceur de la présence musicale et physique de Clément Seclin vient mettre un baume sur les plaies de ces femmes esseulées. Et avec le désir de retourner très vite communier grâce à ce récital nocturne (le choix du mot combine habilement la récitation et la musique) qui est annoncé comme une première partie d’un plus grand ensemble.
Nyx – Récital – La Bohème – jours de représentation : Dimanche, Samedi
Du 07/01/2023 au 26/02/2023 à 21H30
Durée : 1h10
Texte Camille Claudel, Marilyn Monroe, Marina Tsvetaïeva, Emily Dickinson, Frida Kahlo
Adaptation, mise en scène Clément Séclin
Lumières Sébastien Roman
Jeu Ophélie Lehmann et Clément Séclin
Crédit / visuel de l’affiche Ut Barley / photos Rodrigue Lehmann
Crédit photo : Ophélie Lehmann (c) Rodrigue Lehmann