Nous poursuivons notre rubrique hebdomadaire consacrée aux pastiches de grands écrivains, en proposant en exclusivité à nos lecteurs, pour ce dimanche de Pâques, ce complément inédit aux Cinq Grandes Odes retrouvé dans les archives de la Société des amis de Paul Claudel.
Toujours ! toujours l’exil qui revient me cloîtrer comme une nonne,
L’exil toujours qui remonte pour moi à la tombée de sommeil et qui me prend et retient dans ma salle comme une moniale éveillée,
Comme une nonne qui ne dort plus à son tour, et qui bâille languissamment, et qui lutte, et qui veille, et qui tient, et qui somnole, le masque sur son nez !
Que parlé-je de vivre ?
Voici qu’un nouvel âge est sur mon toit et me pèse avec sa visière transparente,
Revêtu d’un tablier trop blanc qui s’avance debout entre l’autre et demain
Dans son costume d’infirmière transie et couverte ainsi qu’un corps de soldat gris sous la couronne des morts au champ d’honneur.
Blanche non pas de noces promises, mais de brûlants cotons, pareils à de grands cierges éteints
Et sa figure comme une chose tout de même qui disparaît derrière une cagoule.
Toujours la lèpre qui remonte me cloîtrer,
L’exil qui bredouille sa tyrannie en sourdine à cette foule qui consent à l’amende des rues désertes pleines de matraques vigilantes et qui décline l’adresse et la profession !
Toujours le bulletin, toujours la persienne renclose, toujours la terrasse qui se vide !
Eh, je suis roué de ce siècle que je larmoie entre les nuits ! Voici l’exode ! Toujours la bactérie qui s’insinue !
Et je suis comme le glabre ministre à l’écran des actualités vides, dans le pays de France,
Ce malheureux confiné sous les lampes et le foin des cent docteurs qui s’animent,
Et il ne connaît point la honte, mais il est comme un volet qui se barricade, et tout son ventre est lacéré par l’angoisse de l’ennui et par les longs mois hygiéniques !
Loin de moi l’exode, et près de moi la rencontre des filles peintes, et le bar de L’Eurydice, et le bout de cet an trop creux !
Ô me voici d’avance vieillard devant les kiosques interdits
Et je renverse mon cœur vers l’alliance et le temps rétractile, j’ai plein mon ciel d’épreuve !
Si le reclus ne s’oublie pas obliquement dans la cellule,
Croirez-vous que je puisse encore glisser les grandes avenues des ports,
Sans que les pierres m’en rivent au claquoir
Comme le droit commun que l’on serre aux menottes et qui ploie sous les coups de l’adjudant d’aplomb derrière lui qui bataille et qui verrouille subrepticement les portes avec une clef officielle !
Adieu, je serai cette attente livrée aux fers et qui donne des crises à la manécanterie
Et stupidement fade dans le regard du Saint comme une absinthe translucide,
Amie, glorieuse, impossible, interminable !
Je ne suis point sensible à la loi des parlements d’après les marches sans terme dans la ville, car j’ai mémoire des cabarets sur le trottoir des arrondissements et des trêves latines,
Cependant qu’alignant son jour la lie des fonctionnaires et des vilaines bourses aux wagons lourds me scrute en gloussant des pourparlers obscènes !
Ô les terribles fiches policières aujourd’hui et l’ordre où je rentre seul et clos !
La cloche dans le soir, cette terrible fiche qui se dresse vers les six heures !
Alors comme la vieille supérieure qui se range après Vêpres sous le rabot déserté du convers et du réfectoire,
Et celui-ci lui chante les fastes autrefois des cornettes parmi les voûtes et cette réjouissance de la mère qu’on réveille à la nuit
Même pleurant sans cœur,
La faveur de mon ressouvenir reste lucide.
Seigneur ! Je sais que la lutte commence. Je sais que l’exil commence !
Il y eut l’ancien monde, mais il n’est plus. Je sens sur ma bouche un masque plus épais.
Mon Dieu, arrachez-moi à la prison de tous les hommes, que je m’échappe avant la faute,
Et comme l’ostensoir nocturne de la Croix
Ses poutres, qu’on martèle au temps ce psaume seul.
Arthur Pauly