“Ce sont les actes qui comptent”

Alors que la la condition animale investit la littérature avec la parution l’année dernière de Règne Animal de Jean-Baptiste del Amo, et en 2013 de 180 jours d’Isabelle Sorente, et qu’un Manifeste animaliste a été publié cette année par la philosophe Corine Pelluchon, Zone Critique est parti à la rencontre de Brigitte Bardot, qui nous entretient de son combat de longue date pour la protection des animaux. 

Votre fondation a été créée en 1986. Quel en a été l’élément déclencheur ?

Seule et inexpérimentée, j’avais besoin d’être entourée par une structure solide. J’ai dû faire beaucoup de sacrifices pour monter cette fondation.

Vous luttez, à la tête de votre fondation, pour la protection des animaux, donc pour la survie et la conservation d’un état de nature menacé par l’intervention de l’homme. Vous militez en même temps pour l’affirmation des droits des animaux, qui est une revendication plutôt moderne et progressiste. Ainsi, un tribunal argentin a reconnu le 21 décembre 2014 le droit de vivre en liberté à une femelle orang-outang vivant au zoo de Buenos Aires depuis vingt ans, considérant l’animal comme « une personne non humaine ». Il a été décidé d’appliquer à l’animal une ordonnance d’Habeas Corpus, c’est-à-dire le droit de ne pas être emprisonné sans jugement. Même s’il ne s’agit pas d’un être humain, il a été considéré que le primate pouvait avoir des sentiments et le droit à une plus grande liberté. Pensez-vous qu’il s’agit d’un combat d’avant-garde ?

Il est scandaleux d’enfermer, de priver de liberté des animaux innocents uniquement pour le plaisir des visiteurs et le fric que cela rapporte. C’est un sacrifice, une torture, une peine inhumaine qui ne devraient plus exister à notre époque. Nous sommes des retardés.

Une Déclaration universelle des droits de l’animal a été proclamée à la Maison de l’Unesco en 1978 mais elle n’a pas de valeur juridique. Pensez-vous qu’il faudrait en accorder une ? La Fondation a-t-elle une position sur ce sujet ?

Les déclarations de ceci ou cela sont stériles. Ce sont les prises de position, les actes qui comptent. Même les lois ne sont pas toujours appliquées ou bien elles sont entravées par des dérogations.

Faut-il promouvoir le végétarisme ? Quid du véganisme ? Est-ce un simple effet de mode ou cela est-il révélateur de quelque chose de plus profond ? D’un changement de mentalité ?

Oui, il faut absolument cesser cette monstrueuse habitude de manger de la viande qui entraîne la souffrance et la mise à mort abjecte de milliards d’animaux par an. Les chaînes d’abattage dans les abattoirs sont inimaginables d’horreur. Tous ces animaux épouvantés, égorgés les uns devant les autres, hurlant, se débattant la gorge ouverte pendus par les pieds, s’étouffant dans leur hémorragie, c’est pire que l’enfer.

Si les abattoirs avaient des vitres transparentes et étaient visibles par tous, le monde entier deviendrait végétarien. Il faut que les gens fassent le rapprochement entre la viande de leur assiette et l’animal mignon qui a donné sa vie pour ce morceau de steak, de gigot ou de jambon.

Il faut que les gens fassent le rapprochement entre la viande de leur assiette et l’animal mignon qui a donné sa vie pour ce morceau de steak, de gigot ou de jambon.

Certaines associations de lutte pour la protection des animaux, comme Peta (qui vous a décerné un prix en 2001 pour votre combat), ont des positions qualifiées parfois d’extrêmes ou radicales ; ainsi, le refus de cette association de toute expérimentation sur les animaux à but médical. Partagez-vous cette vision ?

Bien sûr que oui. Il existe maintenant des méthodes de substitution alternatives qui ne sont pas suffisamment développées et qui pourraient à 90% remplacer l’expérimentation sur l’animal. Mais le remplacement par ces méthodes a un coût qui n’est pas pris en compte par nos gouvernements.

Que pensez-vous du Peta en général et de leur communication en particulier ? Les actions choc sont-elles nécessaires pour réveiller les consciences ou faites-vous davantage confiance à l’éducation et la pédagogie ?

Peta est exemplaire. Les actions choc sont indispensables car il faut choquer les gens pour qu’ils comprennent. Mais il faut aussi éduquer dès le plus jeune âge et employer des méthodes pédagogiques tout au long de la scolarisation.

Comment travaillez-vous avec les autres associations et fondations pour les animaux, qu’il s’agisse de la SPA, d’Humanité et Biodiversité, de WWF etc. ? Quelle coordination entre vous au niveau national et mondial ? Envisagez-vous des actions communes dans un futur proche ?

Ma Fondation est ouverte à toutes les autres associations et fondations pour un travail en commun, que nous utilisons pour les grandes causes à développer ou à gagner. Nous avons proposé au gouvernement un manifeste « Animal politique », qui contient 30 propositions pour mettre la condition animale au cœur des enjeux politiques.

Nous avons proposé au gouvernement un manifeste « Animal politique », qui contient 30 propositions pour mettre la condition animale au cœur des enjeux politiques.

Quelle est le combat prioritaire du moment pour votre fondation ?

Tout est prioritaire car tous les cas sont dramatiquement urgents. Cela va des abandons multiples et variés (chiens, chats, moutons, vaches, chevaux…) au transport inhumain des animaux de consommation, l’abolition attendue de l’hippophagie depuis près de 30 ans, la suppression des dérogations autorisant les abattages rituels, les campagnes de stérilisation des milliers de chats et chiens abandonnés dans les îles d’outre-mer françaises, la lutte contre la détention d’animaux sauvages dans les cirques, la guerre contre les 2005 mouroirs et delphinariums, la bataille contre les immondes corridas, les élevages intensifs etc.

Quelle est votre plus grande fierté au sein de votre engagement ?

Celui d’avoir le courage de m’être engagée et de n’avoir jamais failli.

Votre statut de star vous a-t-elle servi dans votre lutte pour les droits des animaux ? Pensez-vous que vos interlocuteurs (politiques, industriels…) réagissent différemment s’ils ont en face d’eux Mme Bardot ?

Bien sûr, ma célébrité a été un important atout, surtout aujourd’hui, car à mes débuts, on ne me prenait pas au sérieux. On croyait à un caprice de star.

A ce titre, vous twittez beaucoup. Deux de vos tweets rédigés pendant la campagne présidentielle ont d’ailleurs fait réagir. Estimez-vous ce mode de communication efficace pour médiatiser votre combat ?

Plus on fait passer de messages, mieux c’est. Les réseaux sociaux sont un moyen de communication formidable. Il faut en user sans en abuser.

A l’approche de l’été et du départ en vacances, un fléau récurrent va refaire parler de lui : les abandons d’animaux. La SPA a enregistré un record en 2016 avec plus de 4 000 animaux recueillis (en majorité des chiens), soit une augmentation de 24% sur un an. La Fondation Bardot prévoit-elle une campagne de communication ou des actions sur ce sujet ? Pour endiguer ce fléau, faut-il davantage éduquer ou réprimer et par quels moyens ?

Depuis des années, nous utilisons tous nos moyens pour endiguer ces vagues d’abandon pendant les vacances – affiches sur les routes, dans le métro, les abribus, messages radio… Rien n’y fait. Les abandons sont de plus en plus nombreux chaque année. Il n’y a rien à faire. Lorsqu’on vient nous abandonner un animal à la Fondation, nous essayons de faire comprendre à la personne le tragique de son geste pour ce petit compagnon qui va se retrouver dans un milieu étranger, qui va chercher son maître, sa maison, qui va pleurer, gémir, parfois se laisser mourir. On nous répond : « si vous ne le prenez pas, on va l’abandonner dans la rue ». Alors, on le garde.

Un nouveau phénomène a fait son apparition cette année : le braconnage dans les zoos. Ainsi, un rhinocéros blanc du zoo de Thoiry a été abattu en mars dernier et sa corne découpée. Quelles seraient vos préconisations ? Écorner préventivement les rhinocéros et autres animaux représentant une tentation pour les braconniers ? Sécuriser davantage les zoos ? Les fermer à terme ?

Le parc de Thoiry où le rhinocéros a été tué est un endroit respectable pour les animaux sauvages qui sont en semi-liberté dans un environnement acceptable. Ce n’est heureusement pas une prison. Mais c’est justement à cause de cela que les individus, les assassins, ont eu la possibilité d’entrer. Pourtant, il y a des caméras de surveillance partout, mais pour des spécialistes, ce n’est pas un frein. Ce serait dramatique d’en arriver à mutiler les animaux pour leur éviter la mort et pourtant, beaucoup le font en Afrique. Je pense que si la peine de mort était rétablie pour ce genre d’individus (ou la prison à perpétuité réelle), cela donnerait à réfléchir. On ne peut pas mettre un bataillon de soldats dans chacun des grands parcs de France. C’est le monde dans lequel on vit qu’il faudrait changer. On a atteint l’insécurité extrême. C’était mieux avant !

Devant l’Assemblée générale de la Fédération nationale des chasseurs à Paris en mars, Emmanuel Macron s’est dit favorable à la réouverture des chasses présidentielles. Quelle est votre réaction ? Une survivance monarchique ? Une volonté pragmatique de séduire un certain électorat ?

C’est scandaleux de la part de Macron d’aller mendier lamentablement des voix en se disant favorable à la réouverture des chasses présidentielles, qui avaient été interrompues. Quelle marche arrière pour le fondateur d’En Marche. Je suis écœurée.

En octobre 2016, des personnalités scientifiques ont appelé, dans une tribune au Monde, à la création d’un Secrétariat d’État à la condition animale. Que pensez-vous d’une telle initiative ? Cet appel n’a pas (encore) été entendu par le gouvernement Philippe, êtes-vous optimiste sur ce sujet ?

Il est indispensable et urgent qu’un secrétariat d’Etat à la condition animale existe au sein du gouvernement. Trop de problèmes graves restent sans solution et en attente d’une décision gouvernementale.

Il est indispensable et urgent qu’un secrétariat d’Etat à la condition animale existe au sein du gouvernement

La Fondation Bardot a fait partie des 26 ONG de protection animale ayant demandé à inscrire la condition animale dans le débat politique, dans le cadre des élections présidentielle et législatives. A cette heure, quel bilan tirez-vous ? Votre appel a-t-il été suffisamment entendu ?

Ce qui concerne les animaux n’est pas pris en compte, ni dans les débats présidentiels, ni à l’occasion des élections législatives. Les appels, que nous avons « hurlés », n’ont pas été entendus. Les politiques n’ont pas de cœur mais en plus, ils sont sourds.

La corrida a été rayée du patrimoine immatériel de la France en 2016 (elle y était inscrite depuis 2011). Elle est toujours considérée comme un bien d’intérêt culturel en Espagne. Vous appelez à son interdiction pure et simple. Que répondez-vous aux partisans de la corrida, qui mettent en avant la tradition locale ininterrompue (telle qu’elle est formulée dans le code pénal, article 521-1) et l’attrait culturel de cette pratique ?

Il n’y a rien de culturel dans un spectacle qui montre l’épouvantable agonie d’un animal torturé, ensanglanté, achevé mortellement et maladroitement, qui s’écroule, vaincu, sous les acclamations d’un public sadique au son des flonflons hystériques.

La même question pourrait s’appliquer pour les sacrifices rituels : n’est-ce pas aller à l’encontre de la pratique des cultes ? Faut-il moderniser leurs pratiques ? Comment concilier dès lors conservatisme et progressisme ?

Les pratiques barbares des sacrifices rituels peuvent être adoucies par les moyens modernes d’étourdissement qui laissent les animaux vivants mais provisoirement inconscients au moment de l’égorgement. Nous avons fait la démonstration de ce procédé devant des religieux juifs et musulmans ainsi que des scientifiques. Tous ont reconnu que la méthode ne tuait pas l’animal mais l’étourdissait momentanément, ce qui permettait au sacrificateur de faire son travail avec les mêmes gestes traditionnels sans que l’animal souffre le martyre. Malgré cela, rien n’a changé et c’est un scandale que je combats en priorité.

L’investiture d’une candidate En Marche, Marie Sara, ancienne torera, dans la circonscription du Gard pour les législatives vous fait-elle réagir ? Prévoyez-vous une communication quelconque à ce sujet ?

L’investiture de Marie Sara a choqué beaucoup de gens, sans parler des protecteurs et des associations de protection animale. C’est une provocation malvenue de la part d’Emmanuel Macron. Une pétition réunissant 86 000 signatures contre elle a même circulé sur Facebook.

Selon une enquête Eurobaromètre 2016 (https://www.ciwf.fr/media/7427216/2016marscpeurobarometre.pdf), les Européens sont majoritairement pour un renforcement du bien-être des animaux d’élevage. Les Français sont également pour l’interdiction de la chasse à courre, pour l’interdiction de l’abattage des animaux sans étourdissement préalable etc. Comment expliquez-vous la frilosité de nos gouvernants successifs sur ces questions ?

Je ne me l’explique pas. C’est insensé. On dirait qu’ils ont honte d’apporter une amélioration à la condition animale. Ou alors ils subissent un chantage des lobbies puissants qui gèrent ces problèmes. Ou bien encore les animaux passent bien après toutes les mesquineries qui envahissent les urgences à traiter.

  • Lien vers la Fondation Brigitte Bardot

Entretien réalisé par Guillaume Narguet

Crédit photo : Copyright : F. Guillou/F.B.B


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