« Un rapport sans capotes et puis quoi encore ? »
Il m’a regardé d’un air gentil et pédagogue, comme si j’étais débile. Comme si je n’avais pas toutes les cartes en mains. Comme si le B-A-B-A de la santé sexuelle n’était pas respecté.
Comme une petite fille honteuse, devant son médecin de famille, je lui ai dit : « Oui, je sais, j’ai déconné ». Deux minutes de plaisir pour un truc pas si ouf. Une petite nouille minuscule qui a sûrement tourné partout ailleurs, du moins est-ce ce que j’ai pensé, puisque j’ai eu mal.
Dans ses abonnements Instagram, j’ai vu des filles pas comme moi, des filles visiblement moins bourgeoises, visiblement plus perdues, qui se mettaient en scène dans des positions compromettantes avec la petite citation à propos, qui me laissait glacée d’effroi : Grab’em by the pussy, pour les faire miauler, saisis la vie comme on saisit mon cul, Depressed but well dressed et si tu devais noter sur cinq mon décolleté ?.
Dans le circuit d’urgence dépistage du CeGIDD (Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic), j’ai instantanément pensé que j’étais finie. Enterrée. Dépecée. Il faut dire que le mode multi-partenaires entraîne des possibilités plus profondes de choper le SIDA.
J’ai pleuré un peu. Dis : « Au revoir papa », « au revoir maman (..), c’était chouette de vous connaître ».
Je me voyais morte. Sans me réjouir, cela faisait déjà quelques temps que j’en avais envie. J’imaginais mes amis en pleurs, ma famille paniquée, leurs visites en phase terminale à l’hôpital. Ça me semblait doux pour une fois de les voir. Dépressive, pour ne pas dire malade, peu se souciaient de moi. Sans doute que, mourante, je me rappellerais plus à eux.
Dans ma tête j’ai pensé gonorrhée. Chaude pisse. Chlamydia. SIDA. C’est sûr que j’ai quelque chose, sinon pourquoi ça brûle intérieurement ? J’ai suivi sans broncher les conseils du médecin. Avalé sans réfléchir les petites pilules bleues. Le SIDA, c’était pour moi la maladie des pauvres. Très rarement celle des riches cokés.
0.05% à 0.0014% de risque pour une relation vaginale insertive d’être contaminée.
Personne ne veut d’une fille malade, d’une fille mourante pourquoi pas. Dommage que ce ne soit pas un cancer, ai-je aussi pensé. Ma sœur a eu un cancer, tout comme cette fille d’amis de la famille. Pour elles ? Tapis rouge et tous les honneurs. Malheureusement, le SIDA est moins glorieux.
J’ai commencé la liste des amis que je pourrais appeler, avant de me souvenir que personne, jamais, ne prenait de mes nouvelles, et que de toute façon, tout le monde s’en foutrait.
A force de méditer sur mon sort, j’en suis arrivé à la conclusion suivante : si, effectivement, je suis mourante, la maladie m’aidera à me recentrer sur l’essentiel. À faire des choses importantes comme : mon lit au carré, dire à mamie que je l’aime, et enfin finir ce roman (dont ma mort ne pourrait que le rendre plus attrayant).
« Séropo. » « Séropo. » « Séropo. »
Quitte à crever tout de suite, autant faire les choses bien.
« Négatif. » « Négatif. » « Négatif. »
Même crever dans les règles de l’art, je ne sais pas comment faire.
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