Le bossu de mes rêves 

Dans une cabane sans issue, elle attend la sentence des mains qui possèdent. Peut-on perdre le contrôle de son propre imaginaire sexuel ? À quel prix ? Bienvenue dans le Dimanche Rose avec Cloine. 

Je ne rêve pas beaucoup de sexe. Ce doit être parce que j’y pense trop souvent quand je suis éveillée. De jour, mon cerveau est saturé de perversités jusqu’à frôler le dégoût, mais quand quelques pensées inachevées persistent, mon rêve érotique se termine par un orgasme avorté que je n’oublie jamais.

Nous sommes dans une cabane en bois. Rien n’existe au dehors. La lumière qui frappe la table sous la fenêtre n’a pas d’origine. Nous sommes libres d’ignorer tout ce qui ne sert pas à notre plaisir.

Je suis assise sur une chaise inconfortable. Le dos bien droit, mon buste est enserré par un corset noir qui m’empêche de m’avachir sur le dossier. Ma peau déborde, trop opulente. Mes pieds sont emprisonnés par des chaussures aux talons immenses. Je ne peux pas les voir, mais j’imagine mes orteils écrasés les uns contre les autres dans leur écrin de cuir. Mon corps est réprimé, comme si on voulait lui faire éprouver ses limites, comme si on voulait lui interdire d’être vivant. Je ne peux pas me lever et partir facilement, mais je ne le veux pas de toute façon. J’attends, nerveuse et pressée qu’on me touche. Rien ne m’oblige à garder la tête immobile, pourtant je fixe le tréteau devant moi. Je ne me rappelle pas en avoir reçu l’ordre, mais je n’ose pas défier l’autorité inconnue à laquelle j’ai consenti de me soumettre. Je suis là, comme une poupée de chair, à respirer tant bien que mal l’air empesé de poussière. Tout me comprime et me gêne. Tout est sale à part moi. Quoique.

Il y a quelques pas dans mon dos. Aucune porte n’a claqué ; toi qui t’approches, tu m’as observée depuis un recoin de la pièce. À cette pensée, un frisson parcourt mon échine. Je continue de mouiller.

Le tissu de tes habits frôle ma nuque. J’ose un regard dans ta direction : tu es grand et ton visage est plongé dans la pénombre. La seule chose que je retiens vraiment, c’est que tu es bossu. D’un geste, tu m’intimes de reprendre ma position initiale. Ton autorité est telle que tu n’as pas besoin de prononcer le moindre mot. Je m’exécute et ferme les yeux en attendant que tu te décides. Tu caresses mon crâne ; c’est peut-être l’endroit où j’ai le moins besoin d’être touchée. Pourtant, tu t’y attardes. Tu passes tes doigts dans mes longs cheveux bouclés. Tu les tires et m’arraches des gémissements. Je sens parfois ton souffle sur mes oreilles : j’en brûle.

Je ne sais pas combien de temps ça dure, mais je veux que tu poses tes mains ailleurs. Je veux sentir ta chaleur dans mon cou, même si c’est pour le serrer. Je veux sentir ta chaleur sur mes seins, même si c’est pour les frapper. Je veux sentir ta chaleur dans mon sexe, même si c’est pour le violenter.

J’entends soudain un son de moteur, et avant que j’ai le temps de comprendre, tu passes une tondeuse sur mon crâne. Je sens une mèche dégringoler le long de mon épaule, mais je réagis à peine. « Ah oui, me dis-je plutôt, c’est ça que nous devions faire ». D’un second geste, tu me rases encore, puis encore, et encore, et encore, jusqu’à ce que la moitié de ma chevelure ait glissé sur le sol ou mes genoux. Pendant que tu m’enlèves des parts de moi, mon désir enfle dans mon ventre. Si je n’avais pas de corset, tu le verrais gonflé d’attente, comme enceint de ce que tu me promets.

Tu jettes la tondeuse par terre. Tu me saisis par les hanches et me renverses par-dessus le tréteau comme si je n’étais pas vivante. Ton sexe glisse le long du mien. Ton sexe me tourmente. Ton gland agace mes lèvres, mon clitoris, mon ouverture. Pendant un temps, tu me tortures, et je suis frappée d’horreur car tu pourrais bien ne jamais m’envahir. Je ne te vois pas, ne te connais pas, mais je ne suis plus qu’un objet anticipant ce que tu voudras bien me donner.

Je tiens à peine debout, mes chevilles sont toujours sur le point de se tordre. J’ai presque la tête à l’envers, et le tréteau me coupe en deux. Je vais perdre connaissance, mais c’est le moment que tu choisis pour me pénétrer. Tu me baises. Tu vas me donner ce que je veux.

Je pense à utiliser mes mains pour me caresser, mais je me ravise, car je ne suis qu’un objet. Derrière moi, tu es furieux. Tu déverses sur moi une avalanche d’animalité. Tu ne me touches qu’à l’intérieur, car c’est le seul endroit que tu ne connais pas. Le son mouillé de nos sexes est assourdissant. Tu es si énergique, on dirait que tu ne t’arrêteras jamais. Pourtant, tu finis par éjaculer à l’intérieur de moi.

Tu me lâches, je glisse dans la poussière. Je n’ai pas joui. Tu m’as privé. Je te regarde, suppliante, mais tu me tournes déjà le dos. Je tends la main ; ne peux-tu pas au moins finir de me coiffer ? Ne veux-tu pas prendre ce qu’il me reste de cheveux ? Tu ne réponds pas, tu t’en vas sans un regard. Et moi je reste là, poupée de chair. Heureuse et humiliée.


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